Frère Sylvestre



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CHAPITRE II ième

QUELQUES-UNES DES RAISONS


qui nous font espérer que l'introduction projetée de la cause du P. CHAMPAGNAT en cour de Rome aura un heureux résultat
(Pour varier, nous donnons ce chapitre un peu sous forme de discours, sans indication de paragraphes)8.
Outre le but de donner l'enseignement chrétien catholique et de propager la dévotion à la Ste Vierge, que s'est proposé le P. Champagnat en fondant son Institut, il a voulu encore que ses disciples pratiquassent une vertu particulière, qui les distinguât des autres corporations religieuses; car il est à remarquer que ces dernières, outre les vertus qui leur sont communes et qui forment l'essence de ce genre de vie, se font encore remarquer par une vertu principale qui est comme leur livrée et leur caractère distinctif. Ainsi, dans les unes, c'est la charité; dans d'autres, l'obéissance; celles-ci s'adonnent particulièrement à la mortification ; celles-là [32] à la contemplation, etc., etc. De sorte que toutes ces vertus particulières, portées à la perfection, représentent dans l'Eglise ce vêtement éclatant dont parle le Roi-Prophète, orné de fleurs variées, tout brillant d'or et enrichi de pierres précieuses. Or, la vertu que le P. Champagnat a choisie comme devant être le cachet de sa Congrégation, est la vertu d'humilité avec ses compagnes inséparables, la modestie et la simplicité; et le modèle qu'il a donné à copier à ses Frères dans la pratique de cette vertu, autant qu'il leur sera possible, est la vie humble, simple et modeste de la très Sainte Vierge dans l'obscure maison de Nazareth. Cela étant, Dieu a dû donner au P. Champagnat, qui devait être comme le prototype de ses disciples, l'humilité à un tel degré, qu'elle cachât comme sous un voile, non seulement toutes ses autres vertus, mais plus encore les dons extérieurs qui caractérisent la plupart des Saints que l'Eglise propose à notre vénération, et dont Dieu manifeste généralement la sainteté par des actions merveilleuses et des miracles incontestables. Il n'est pas dit dans le St. Evangile que la Vierge de Nazareth, dont toutes les vertus et surtout l'humilité ont été incomparables, ait fait pendant sa vie des choses extraordinaires; et pourtant les saints Pères nous assurent que par un seul tour de fuseau, elle a plus mérité que tous les anges et que tous les saints ensemble. Elle dit bien que le Seigneur a fait en elle de grandes choses, mais non hors d'elle pendant sa vie; et ce n'est qu'après sa mort que toutes les nations doivent l'appeler bienheureuse. Ainsi, toute proportion gardée, peut-on dire du P. Champagnat quelque chose de semblable. Sa vie a été cachée, obscure, commune, ce qui n'a pas empêché qu'il n'ait été comblé de grâces insignes, et qu'il n'ait pratiqué sous le voile de l'humilité des vertus héroïques. Mais Dieu, qui se plaît à exalter quelques-uns de ses saints seulement après [33] leur mort, a permis dans ces temps-ci que des circonstances toutes providentielles, dévoilant sa sainteté, fissent naître au R. F. Supérieur Général, la bonne et excellente idée de demander l'introduction de sa cause en cour de Rome, attendu qu'il y a actuellement des raisons qui plaident puissamment en faveur de cette cause si importante, et en même temps si glorieuse pour les Petits Frères de Marie, cause qui, aboutissant à un bon résultat, leur donnera plus tard, à eux et à leurs élèves, un puissant protecteur dans le ciel, à qui ils pourront rendre un culte public (et invoquer sûrement)9.

Parmi ces raisons, en voici quelques-unes qui m'ont frappé et qui, à mon avis, méritent une attention particulière.


1) Le fait même de la fondation de sa Congrégation, qui s'est établie, a grandi et s'est développée malgré les obstacles presque insurmontables qu'elle a rencontrés, et qui naturellement devaient l'anéantir.
2) Le bien qu'elle fait dans la Ste Eglise, en faveur de la jeunesse si exposée à se perdre, surtout aujourd'hui où l'enseignement religieux est banni des écoles nationales, tristement appelées: écoles sans Dieu.
3) La Vie du Vénéré Fondateur écrite par un de ses disciples, très digne de foi, vie qui présente dans son ensemble quelque chose de si édifiant qu'après l'avoir lue, on laisse naturellement échapper ce cri: « Le Père Champagnat est un saint, vraiment ses vertus tiennent de l'héroïsme. »
4) Outre cette Vie, des documents qui actuellement [34] se produisent en grand nombre10, renfermant les uns et les autres des témoignages incontestables de sa sainteté.
5) Des grâces insignes, même miraculeuses, qu'un grand nombre de Frères, et même d'autres personnes étrangères à l'Institut, ont obtenues par son intercession.

Laissant à une plume plus éloquente, moins rouillée, moins usée et moins longtemps paresseuse que la mienne, le soin de développer ces raisons, je me contenterai de dire quelques mots sur les trois premières, n'ayant pas des données suffisantes pour parler des deux autres, le R. F. Supérieur Général connaissant probablement seul les pièces authentiques qui en seraient la confirmation.


-- l° Comme la Ste Eglise, la Congrégation du Père Champagnat a eu pour premiers disciples, ainsi qu 1 on le lit dans sa vie, cinq ou six jeunes gens pauvres, illettrés et ne connaissant pas même les éléments de la vie religieuse. Mais voilà que bientôt, formés par le P. Champagnat, ou mieux par le St-Esprit, dont il a toujours été le docile instrument, ils deviennent capables de catéchiser les enfants de la campagne, et même les grandes personnes.

Il est beau de les voir, ces premiers Petits Frères de Marie, pleins d'humilité, de simplicité et de modestie, aller de hameau en hameau, gravir péniblement et avec joie les étroits sentiers qui y conduisent, rassembler dans quelques granges spacieuses la jeunesse du lieu et leur rompre ce pain spirituel des croyances religieuses, dont leurs âmes avaient [35] un si grand besoin, et, de plus, leur enseigner les connaissances élémentaires que comporte leur condition. Cependant le P. Champagnat voit bientôt son oeuvre menacée de s'éteindre faute de sujets; alors que fait-il? Il a recours à la prière et surtout à Marie qu'il appelait sa ressource ordinaire, et voilà que, comme miraculeusement, il voit venir à lui une huitaine de jeunes gens, mais malheureusement presque aussi dénués de ressources et de connaissances que les premiers. N'importe, bientôt son zèle, son dévouement, sa sagesse et sa piété en ont fait de nouveaux apôtres qui continuent son oeuvre avec d'heureux succès; puis en arrivent bientôt d'autres qui les imitent, de sorte qu'en peu de temps, la maison de Lavalla est trop petite pour les contenir; il faut donc viser à établir la Congrégation naissante sur une plus grande échelle; la maison solitaire de l'Hermitage va être son second berceau, comme celle de Lavalla a été son premier. Mais oh! déception, c'est à ce début brillant de prospérité, dont le P. Champagnat était l'âme et le soutien, que la mort vient le ravir à sa chère Congrégation. Plusieurs, à ce coup mortel, croient qu'il en sera bientôt fini de cette oeuvre qui prenait de si rapides accroissements, et qu'après avoir végété quelque temps elle finira par s'évanouir entièrement. C'est le contraire qui arrive. C'est à partir de cette époque qu'elle rompt les liens qui semblent encore l'emmailloter. De toutes parts, dans le Centre, le Midi et le Nord de la France s'élèvent comme par enchantement de nombreux établissements qui en préparent de plus nombreux encore. Le Vénéré Père avait dit pendant sa vie, et solennellement sur son lit de mort: « La Congrégation est l’œuvre de Dieu et non la mienne; je n'ai aucun doute qu'après ma mort, elle ne fasse encore plus de progrès que pendant ma vie. » Il prophétisait vrai. Sous son successeur immédiat, qui appelait la [36] maison de l'Hermitage le grand reliquaire du P. Champagnat, les vocations se multiplient; de nombreuses fondations sont faites, de sorte que ce grand reliquaire, où reposent les restes vénérés du pieux Fondateur, l'Hermitage en un mot, n'est plus une maison convenable pour continuer à être le centre de l'administration de l'Institut. Il est nécessaire d'en chercher un plus vaste et plus à proximité d'une grande ville, pour approvisionner facilement la communauté, et surtout pour faciliter les relations nombreuses et importantes, qui augmentent chaque jour, avec les autorités civiles et ecclésiastiques.

St. Genis-Laval, canton11 à quelques kilomètres de Lyon, est le lieu désigné pour être la Maison Mère, c'est-à-dire la maison principale de la Congrégation. Là, elle continue à s'étendre, à se développer et à s'affermir sur des bases solides, qui semblent devoir lui donner une durée permanente.

Nous ajouterons que les Règles qu'avait ébauchées le P. Champagnat sont revues et sanctionnées par le premier Chapitre Général, tenu à l'Hermitage et comme sous les yeux du pieux Fondateur. Peu après sa mort, la reconnaissance légale de l'Institut, pour laquelle il avait usé ses dernières forces, est réalisée dans les meilleures conditions possibles. Bientôt, elle est suivie de l'approbation du Saint-Siège comme Congrégation, avec la faculté d'élire canoniquement un Supérieur Général. Dès lors l'Institut prend un nouvel essor: des colonies, des divers noviciats de France et d'Angleterre, vont porter la bonne nouvelle dans les îles lointaines de l'Océanie, où le P. Champagnat avait déjà lui-même envoyé quelques Frères comme coadjuteurs pour accompagner les Pères Maristes, à qui le St Siège [37] avait confié cette mission. Plus tard, la terre d'Afrique voit arriver sous son climat brûlant les disciples du P. Champagnat, et tout dernièrement, le Canada et les îles Seychelles les ont vus s'établir sur leur territoire. Aujourd'hui, des demandes de Petits Frères de Marie arrivent de toutes parts. L'Amérique même en réclame. N'est-il pas évident que Dieu bénit et continue à bénir de plus en plus l’œuvre du P. Champagnat, et que, par conséquent, il était un homme selon son cœur? Oui, c'est bien encore Marie, qu'il avait établie première Supérieure de sa Congrégation, qui continue à la gouverner par ses vicaires, les successeurs du Vénéré Père, et qui s'en montrent si dignes en maintenant son esprit, son but et ses Règles, et en la développant avec un zèle et un dévouement infatigables.

Mais dira-t-on, la fondation et la prospérité de cette Congrégation et peut-être l'effet des moyens puissants qui ont été mis en jeu pour la soutenir et l'accroître si promptement; et alors, il n'y aurait rien que de naturel; tout au plus, cela prouverait que le P. Champagnat était un homme de talent, capable et intelligent (qualités qui déjà, certes, ne sont pas à dédaigner). Du reste, on voit tous les jours certains industriels doués de ces qualités, réaliser de grandes entreprises, favorisés qu'ils sont par d'heureuses circonstances, que leur savoir-faire sait mettre à profit pour étendre leur négoce. C'est vrai, mais il n'est rien de tout cela dans l’œuvre du P. Champagnat, et voilà où se trouve le miracle. Qu'on lise attentivement sa vie, et je réponds qu'on s'écriera, avec quelqu'un qui l'avait non seulement lue mais méditée sérieusement: « Ça fait pitié de voir le peu de ressources qu'a eu ce saint prêtre pour fonder sa Congrégation, et surtout les continuelles persécutions qui lui ont été suscitées de toutes parts pour l'empêcher de l'asseoir définitivement. Cet homme est vraiment un saint. » Cette personne [38] disait vrai. D'abord, comme le vénérable curé d'Ars, il n'avait que des talents médiocres d'érudition, ainsi qu'on le lit dans sa vie; d'autre part, comme il le dit lui-même, son coffre-fort et son trésor étaient la Providence. Mais quels ont donc été ses moyens de réussite? La prière, la mortification, le recours à Marie; ajoutez-y encore les croix, les contrariétés, les vexations, les injures, les moqueries, etc., etc. Et de la part de qui? De ses ennemis sans doute; plus que cela, de la part même, osons-le dire (car Dieu lui a ménagé cette cruelle épreuve), de la part de ses amis les plus chers, et, le croirait-on, de la part de ceux qui, de droit, devaient lui prêter leur concours... Point de ressources pécuniaires pour commencer son oeuvre; c'est son modeste traitement de vicaire qui est sacrifié. Il faut que de ses mains il bâtisse, avec ses premiers disciples, l'humble maison qui va servir de premier berceau à sa Congrégation, en les initiant en même temps, aux connaissances qu'ils vont bientôt enseigner. Et, notez bien, c'est sur le temps destiné au pénible travail qui sert à peine, avec quelques pauvres quêtes, à leur fournir le strict nécessaire, qu'il devra dérober quelques instants pour les instruire.

A l'Hermitage, même pauvreté pour les fonds pécuniaires; il faut qu'il emprunte non seulement pour acheter l'emplacement de la maison, mais encore pour la faire construire; car, quel argent a-t-il par de vers lui? Quelques modiques sommes que gagnent à la sueur de leur front cinq ou six Frères qui, pour une raison ou une autre, ne pouvant être employés aux classes, tissent quelques pièces de toile pour les gens du dehors, tout en prenant un long temps pour faire leurs exercices religieux; ou, mettez encore, si vous le voulez, les petites économies de quelques Frères Directeurs d'établissements, fruits de dures privations que leur piété filiale leur [39] fait supporter courageusement, afin de venir en aide à leur bon Père. Mais n'importe, le P. Champagnat ne se décourage pas de toutes ces épreuves, et lorsqu'on le blâme de son peu de prudence et de sa témérité à continuer un projet qui est au-dessus de ses forces, il n'a d'autre réponse que celle des croisés: « Dieu le veut, et cela me suffit; jamais le nécessaire n'a manqué à ma communauté, soit pour la nourriture, le vêtement et le logement, lorsqu'elle s'est trouvée dans le besoin. » Quand le gouvernement, par des lois inattendues, lui suscite des embarras de tous genres, qui semblent devoir anéantir sa Congrégation, il n'est aucunement ébranlé, il va de l'avant, et il va encore. Par la prière, la mortification, et surtout le recours à Marie, ses armes défensives, il triomphe de tout: les difficultés s'évanouissent, les affaires s'arrangent au mieux, et son oeuvre, semblable d'abord à un petit ruisseau, devient peu à peu une grande rivière, qui, grossissant toujours de plus en plus, va porter de toutes parts les eaux salutaires et bienfaisantes des saines doctrines, dans le vaste champ de l'Eglise, et cela malgré les efforts que fait l'enfer pour en tarir la source ou en arrêter le cours. N'est-ce pas là un éclatant miracle?...


--2° Mais quel bien fait la Congrégation dans les lieux où elle a fondé des établissements, des noviciats ou des juvénats? Ce bien, dans l'époque où nous vivons, est incalculable. Des milliers d'enfants qui fréquentent les écoles tenues par les disciples du P. Champagnat, reçoivent, avec toutes les connaissances humaines qu'exigent leur âge, leur état et leur condition, reçoivent, dis-je, l'enseignement des saines doctrines de la foi, garanties de toute erreur; de plus, ils sont formés avec le plus grand soin aux pratiques de la religion catholique, mais surtout, ils sont préparés avec une attention [40] particulière à cet acte solennel de la vie qui décide généralement du bonheur ou du malheur éternel. Je veux dire la première Communion, ce jour heureux, qu'on ne se rappelle jamais sans une douce émotion, et que l'Exilé de Ste-Hélène appelait le plus beau jour de sa vie. Mais ce n'est pas seulement les sciences religieuses et humaines que la jeunesse puise si avantageusement dans les écoles dirigées par les Petits Frères de Marie. Il faut savoir que le Vénéré Fondateur leur enjoint de la manière la plus forte et la plus formelle de donner avant tout à leurs élèves l'éducation chrétienne et religieuse, c'est-à-dire de former leur cœur à la vertu, soit par leur parole et leurs bons exemples, soit en les corrigeant de leurs défauts, de manière à en faire de bons chrétiens et d'honnêtes citoyens. Pour arriver à ce but, il doivent tout sacrifier, leur temps, leur santé, et leur vie même, car, disait souvent le Vénéré Père: « Dieu a créé avant tout, cette Congrégation pour faire des saints, et au grand jour des justices, chaque Frère passera sur la sellette avant ses élèves et répondra de leur âme, s'ils se sont perdus par sa faute; et moi, mes Frères, ajoutait-il plein d'émotion, j'y passerai avant vous tous pour rendre compte de la perte ou du salut de tous les membres de la Congrégation. » Oh! quel bien ne fait pas un Frère aiguillonné par cette pensée et rempli d'un zèle ardent pour faire connaître, aimer et servir Dieu, Jésus-Christ et sa Ste Mère! Que d'innombrables péchés il fait éviter; que de proies il arrache à l'enfer, et de combien de prédestinés il peuple le ciel!

Maintenant, qu'on me permette une réflexion. Ne dirait-on pas que Dieu, dans sa miséricorde, a inspiré au Père Champagnat la fondation de sa Congrégation particulièrement pour le temps où nous vivons? Car a-t-on jamais vu la jeunesse exposée à de si grands dangers pour l'affaire capitale [41] du salut? Que sont, en effet, ces écoles sans Dieu, sinon l'apprentissage du libertinage le plus effréné, de l'insubordination la plus audacieuse et des crimes les plus énormes? L'homme portant, par le fait même de son origine, la semence de tous les vices, que deviendra la jeunesse imbue de mauvaises doctrines, sollicitée par des exemple plus mauvais encore, excitée par toutes les plus honteuses concupiscences? Où ira-t-elle, sortant de ces écoles athées, qui se multiplient sur tous les points, en supposant même qu'on leur enseigne une certaine morale civique, qui n'est au fond que de l'immoralité déguisée? Qui les soutiendra dans les violents combats qu'ils auront à livrer contre eux-mêmes, n'ayant ni la vérité de l'Evangile pour les guider, ni la grâce pour les surmonter, surtout lorsqu'un monde pervers leur présentera cette coupe enchantée des plaisirs qui renferment les plus mortels poisons?

Hélas! les feuilles publiques nous font déjà trop connaître l'avant-garde de cette génération ignoble et féroce que nous préparent ces écoles publiques d'un gouvernement qui a banni Dieu de son enseignement, et enlevé brutalement des regards de la jeunesse le signe sacré qui a civilisé les nations les plus barbares. Voilà contre qui la Congrégation du Père Champagnat est appelée à lutter; la tâche est rude, mais ses disciples ne se déconcertent pas; continuellement sur la brèche, on les voit, partout où les appelle le danger, armés comme leur Fondateur de la prière, du zèle et du recours à Marie, combattre comme de vaillants soldats, et soustraire, malgré leurs antagonistes audacieux, si bien équipés de toutes les armes de l'enfer, soustraire, dis-je, à d'imminents dangers des masses d'enfants qui fréquentent leurs écoles. Evidemment, l’œuvre du P. Champagnat réalise un bien immense dans la Ste Eglise, en lui conservant tout ce qu'elle a de plus cher et de plus sacré, l'enfance, que le bon [42] Maître chérissait d'un amour de prédilection, et qui appelait à lui les petits enfants par ses tendres et paternelles paroles: « Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez pas, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. »
-- 3° D'après tout ce que nous venons de dire, il est évident que le P. Champagnat a été choisi de Dieu pour établir la Congrégation des Petits Frères de Marie, laquelle, semblable à un arbre vigoureux, a porté, et portera encore, il faut l'espérer, des fruits excellents et nombreux dans la Ste Eglise. Cela admis, il en résulte que Dieu a dû donner à ce saint prêtre un caractère de sainteté particulier, ainsi qu'il l'a fait en faveur de ceux qui ont eu de semblables missions à remplir, car nécessairement les bons fruits proviennent de la bonté de l'arbre. Mais, dans le P. Champagnat, quelle est la sève puissante qui a produit les fruits excellents dont nous venons de parler, et qui continue à les produire, si ce n'est l'ensemble des vertus qu'il a pratiquées, et dont le second volume de sa Vie nous donne des détails si édifiants?

N'est-ce pas sa FOI, ferme et inébranlable, qui le rendait si obéissant à toutes les décisions de la Ste Eglise, si attaché au St Siège, et si plein de respect pour Notre Très Saint Père le Pape? N'avait-il pas aussi cette foi pratique et active, qui lui rendait Dieu présent partout, lui faisant craindre et éviter les moindres offenses? La conférence qu'il eut avec le Frère Louis sur la grandeur du péché véniel, ne montre-t-elle pas combien était parfaite la délicatesse de sa conscience, et à quel point il prisait l'offense de ce péché?

N'est-ce pas sa grande CONFIANCE en Dieu qui lui faisait dire ce paroles: « Je n'ai jamais compté pour fonder ma Congrégation que sur la Providence », et ces autres, qu'il nous répétait [43] à temps et à contretemps: « Si le Seigneur ne bâtit une maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent », et ces autres encore, qui lui étaient familières: « C'est Dieu qui a tout fait chez nous, nous autres nous ne sommes bons qu'à tout gâter? » Et que prêchait-il le plus souvent? La confiance en Dieu et sa grande miséricorde, ou bien Jésus-Christ recevant à bras ouverts l'enfant prodigue, et surtout la confiance en Marie, assurant que la dévotion constante à cette bonne Mère est un signe certain de prédestination, même à l'égard des plus grands pécheurs.

N'est-ce pas la CHARITE qui, enflammant son cœur d'un saint amour pour Dieu, lui a donné cette soif brûlante du salut des âmes dont sa Congrégation est le but fondamental? N'est-ce pas cette même vertu qui l'attachait si sensiblement à la personne de notre divin Sauveur, en sorte qu'il était comme absorbé en méditant les adorables mystères de sa naissance, de sa passion et surtout celui de la Ste Eucharistie? Quelle charité n'avait-il pas pour le prochain et surtout pour les pauvres, qu'il traitait avec tant de respect et pour qui il a fait tant de sacrifices!

N'est-ce pas la PRUDENCE qui l'a fait tellement veiller sur lui-même que je ne sache pas qu'on l'ait pris en défaut sur les moindres observances régulières? N'est-ce pas cette même vertu qui lui a fait donner des règlements si sages sur les rapports des Frères avec les autorités ecclésiastiques, civiles et les gens du monde, toutes règles dont il a donné le plus parfait exemple?

N'est-ce pas la vertu de JUSTICE qui a été cause que jamais on n'a pu lui reprocher le moindre tort envers qui que ce fût, ni les moindres partialités à l'égard de ses Frères, les traitant tous suivant leur mérite réel, sans égard à leurs qualités seulement extérieures et naturelles? Et il était tellement [44] équitable que l'on disait de lui qu'il réussissait toujours à accorder même les personnes qu'il paraissait impossible de concilier. D'ailleurs, sa profonde humilité, sa parfaite obéissance, sa piété, dont sa Vie parle si longuement, font assez connaître qu'il remplissait à un haut degré tous les devoirs de Justice envers Dieu, le prochain et envers lui-même. Car c'est justice de faire servir son corps comme instrument de pénitence par la mortification. Et quelle n'a pas été la sienne?

N'est-ce pas la vertu de FORCE, qui lui a fait surmonter les obstacles inouïs qu'il a rencontrés pour fonder et asseoir sa Congrégation, et pour garder cette patience inaltérable dans les épreuves fâcheuses et multipliées que lui a envoyées la Providence? Et quel courage pour triompher de sa passion dominante, qui d'après lui était l'orgueil? Et a-t-on vu un homme plus humble?

N'est-ce pas la vertu de TEMPERANCE qui, dans les différentes choses qu'il a eu à entreprendre ou à traiter, lui faisait examiner avant tout s'il n'en résultait pas quelque offense de Dieu? N'est-ce pas la même vertu qui lui a donné une si grande modération dans les choses mêmes permises et un tempérament de gouvernement si convenable qu'il était tout à la fois grandement aimé et singulièrement respecté de ses Frères petits et grands? Et quelle sobriété dans la boisson, la nourriture, le vêtement, le logement et l'ameublement?

C'est dans sa Vie et dans les archives de la Congrégation que l'on trouve des faits qui prouvent qu'il a pratiqué à un degré supérieur ces vertus principales, ainsi que les autres dont parle le second volume de sa Vie: c'est-à-dire sa pauvreté, sa parfaite pureté de mœurs et sa grande horreur du vice contraire, son obéissance aveugle, son amour pour le travail, son zèle pour la gloire de Dieu, l'enseignement du catéchisme, l'éducation chrétienne de l'enfance, [45] la formation de ses Frères au point de vue de leur état et de la conservation de leur vocation, sa fermeté à faire observer les Règles, sa constance, sa patience et surtout son humilité et sa dévotion envers la Vierge Marie, qu'il a établie, comme nous l'avons dit, la première Supérieure de sa Congrégation, et qui en est, selon lui, la pierre angulaire.

Vraiment quand on lit avec attention la Vie du Vénéré Père, que l'on considère: 1" ce que lui a coûté la fondation de sa Congrégation; 20 le bien qu'elle fait dans l'Eglise dont nous n'avons donné qu'une faible esquisse, car il aurait fallu parler de tant de jeunes gens, novices et juvénistes qu'elle retire du monde, attirés et retenus dans son sein par le seul nom qu'elle porte et qui probablement se seraient perdus; 30 l'ensemble de tant de vertus qu'il a pratiquées d'une manière si parfaite, on ne peut s'empêcher de croire que sa cause ne soit introduite en cour de Rome. Et encore, faites attention que ce que nous venons de dire n'est pas tout; il faudrait encore connaître les nombreux documents qui arrivent de toutes parts au R.F.S.G., ainsi que les grâces et faveurs particulières obtenues par son intercession, toutes choses que nous ignorons. Mais comme la Ste Eglise est si sévère, non seulement pour béatifier ou canoniser un saint, mais même pour l'introduction de sa cause, il faut, ce me semble, constamment demander, avec ferveur, que le ciel déclare, par quelque miracle authentique, que notre pieux Fondateur mérite cette insigne faveur.

Je termine ce chapitre par une opinion personnelle, dont je laisse juges ceux qui la liront.

Cette opinion est que la Congrégation des Petits Frères de Marie verra la fin des siècles et qu'elle aura à lutter contre l'homme de péché, l'Antéchrist. Et voici mes raisons. La fin du monde, au dire de plusieurs, n'est pas très éloignée, car Dieu vient [46] d'ouvrir pour ces temps malheureux les trois grandes portes de sa miséricorde: le Cœur de Jésus, la Vierge Immaculée, et la dévotion à son très digne époux St Joseph. Qu'aurait-il donc de plus à donner au monde? Aussi est-ce un sentiment général qu'il a réservé ces trois grandes faveurs pour la fin des siècles.

Donc, je crois que la Société de Marie qui n'est, selon moi, qu'à son aurore, est l'armée que Dieu a réservée pour combattre, avec les trois puissants engins de guerre ci-dessus, celui à qui la Vierge Immaculée doit finalement écraser la tête. Maintenant, voilà le fait qui, outre cette raison, à déterminé mon opinion. Je suis le seul, je crois, à en avoir connaissance. Un jour, un aumônier de l'Hermitage tout brûlant du salut des infidèles, animé d'une dévotion très filiale envers la Ste Vierge, plus tard fait évêque, lors du premier envoi de nos Frères en Océanie par le P. Champagnat, pour aider aux Pères Maristes et dont le Vénéré Père était si désireux de faire partie, un jour, dis-je, cet aumônier ne descendant pas à son ordinaire au réfectoire pour le dîner, le P. Champagnat donna l'ordre au bon F. Stanislas d'aller voir s'il n'était pas indisposé; le F. Stanislas frappe à la porte de sa chambre, car la clef était en dehors, mais point de réponse; il frappe plus fort, même silence. Alors il entre et voit le Père à genoux devant son crucifix, sous lequel se trouvait une statue de la Ste Vierge; il avait une figure tout enflammée et toute rayonnante, et paraissait plongé dans une profonde méditation. Le Frère le contemplait dans cet état extatique: « Mon cher Frère, prions... prions.... c'est la Société de Marie, Pères et Frères, qui doit combattre contre l'Antéchrist. » Et sans en dire davantage, voyant qu'il s'était trahi, il descendit au réfectoire, en recommandant au Frère le secret sur cette affaire. Je tiens le récit de ce fait assez singulier du F. Stanislas [47] lui-même, qui s'en servit dans une occasion pour m'encourager à persévérer dans ma vocation. Maintenant, si véritablement la Congrégation des Petits Frères de Marie doit subsister jusqu'à la fin des temps, combien cette circonstance singulière ne grandit-elle pas le P. Champagnat, que Dieu, supposé la chose vraie, aurait choisi pour former d'avance l'armée d'élite, dont la Vierge Immaculée doit se servir pour écraser définitivement la tête de l'antique serpent, en remportant sur l'Antéchrist la victoire mémorable qui doit anéantir son empire à tout jamais.
Fin

du Chap. II ième [48]


CHAPITRE III ième

NOTES PARTICULIERES
Sur la Vénéré Père CHAMPAGNAT,

accompagnées de quelques traits



et de quelques usages de son temps.
§ Iier Confession
Au st tribunal, le P. Champagnat n'était ni trop sévère, ni trop indulgent, mais il tenait un si juste milieu que tous ses pénitents étaient enchantés de ses décisions, de ses sages avis et de ses bons conseils. Les plus grands pécheurs trouvaient toujours auprès de lui un cœur tout débordant de la charité de Jésus-Christ; il les ramenait à la pratique du bien, plutôt en parlant à leur cœur qu'à leur esprit, souvent peu développé. On voyait qu'il avait une soif brûlante de leur âme; il les serrait si fortement et si affectueusement, quand il les confessait, qu'il éveillait en eux des sentiments d'un tel repentir, d'une telle douleur, que souvent leurs larmes et les siennes se confondaient ensemble. Quant aux tièdes, il agissait avec plus de sévérité en les forçant, comme malgré eux, à devenir fervents, leur mettant sous les yeux les suites funestes de leurs négligences et l'immense perte de grâce dont ils se privaient et dont ils auraient à rendre compte un jour au tribunal du Souverain Juge. Pour les fervents, [49] il travaillait à les faire avancer dans la perfection, sans leur permettre de rester dans un funeste repos; il les portait continuellement à l'amour et à l'imitation de Notre-Seigneur, exigeait qu'ils évitassent les moindres fautes et toute infraction à la règle, autant que possible. C'est en suivant cette ligne de conduite qu'il a fait parvenir plusieurs de ses Frères à une haute perfection, ainsi qu'on peut le voir dans les biographies d'un grand nombre. Il tenait tellement à la confession hebdomadaire, que je l'ai vu plusieurs fois, lorsqu'il était pressé, confesser les Frères anciens après leur action de grâces, lors même qu'il aurait pu les renvoyer à la quinzaine; car, disait-il, il y a une grâce toute particulière attachée au sacrement de Pénitence pour se corriger non seulement des fautes graves, mais encore de cette fourmilière de petites fautes ou imperfections, qui empêchent le religieux d'arriver à la perfection. Il engageait même certains jeunes Frères ou novices, violemment tentés, ou enclins à quelque péché d'habitude, à se confesser deux fois par semaine. Les preuves de ce que nous avançons se trouvent dans sa Vie, ou ont été certifiées par plusieurs de ses pénitents. Le Vénéré Père avait, en confession, un don particulier pour connaître dans leur accusation, ceux qui manquaient de sincérité, ou qui, soit par ignorance, soit par manque d'expression, accusaient plutôt les circonstances du péché que le péché lui-même. Ce don lui venait-il de quelques lumières surnaturelles? C'est ce que j'ignore; cependant voici un fait qui me porterait à le croire et que je tiens d'un intime ami. Un jeune novice avait eu le malheur d'apprendre le mal par un de ses condisciples, pensionnaires l'un et l'autre dans une maison d'éducation où la surveillance était fort négligée. Ignorant la gravité de sa faute, il va se confesser au P. Champagnat, qui ne tarda pas à remarquer qu'il y avait quelque [50] chose de louche dans son accusation; lui ayant reconnu une grande franchise, il avait essayé plusieurs fois de lui faire diverses questions pour s'éclaircir et se tranquilliser; mais elles étaient tellement prudentes, et on comprend pourquoi, que les réponses de son pénitent ne le contentaient qu'à demi. Un jour, ce dernier remarqua qu'après chaque question, la Vénéré Père, après en avoir entendu la réponse, s'arrêtait, soupirait et priait, mais voilà qu'instantanément, à la dernière qu'il lui fit, son pénitent répondit en se servant d'une expression, à laquelle il n'avait jamais pensé de sa vie, et qui découvrait tout le mystère. « Je vous comprends », lui dit le Vénéré Père, comme quelqu'un à qui l'on vient d'ôter un lourd fardeau. Il lui fait connaître alors en quelques termes énergiques toute la gravité de sa faute lui demande combien il a fait de communions depuis cette époque, et combien de fois il avait failli; puis il termine en l'assurant que s'il ne se corrigeait pas promptement, la Ste Vierge ne tarderait pas à le vomir du sein (de)12 la communauté: expression dont il se servait quelquefois pour donner l'horreur du vice dont nous parlons. (Devant) la franchise de son pénitent et sans doute, voyant que l'ignorance était l'unique raison de son défaut d'accusation, il lui donna l'absolution. Comme ce jeune novice tenait fortement à sa vocation, les dernières paroles que lui avait dites le Vénéré Père lui firent verser des torrents de larmes. N'y tenant plus, il va quelques instants après et encore tout en pleurs, trouver le bon Père qui, en ce moment, était occupé à écrire. Celui-ci le regarde fixement, lui demande le sujet [51] de sa tristesse. « Ce sont, mon Père, les paroles que vous m'avez dites tout à l'heure », en les citant textuellement. Le Vénéré Père, comme un homme tout étonné et tout stupéfait, lui dit d'une voix fort accentuée: « Mon cher ami, que me dites-vous là? Je ne vous ai rien dit. » Et il continuait à écrire. Le jeune novice étonné, on ne peut plus, s'en va bien triste, comme on peut le penser. Un moment après, il réfléchit en lui-même, se rappelle ce qu'on lui a enseigné au sujet de la confession, et se rend compte sans peine de la conduite du Vénéré Père à son égard.

« Jamais, disait-il, en racontant ce fait, ni en confession, ni ailleurs le P. Champagnat n'est revenu sur cette affaire. Même quand je me représentai de nouveau au st. tribunal, il parut tout ignorer. Mais quel service il m'a rendu! Au fond, je n'étais pas bien tranquille; il y avait toujours en moi, après que je m'étais confessé, un certain trouble dont je ne pouvais me rendre compte; cependant, je (ne) sache pas d'avoir jamais fait volontairement de mauvaises communions ». Mais, dit un proverbe : A mal, il y a quelquefois bien.

En effet, ce Frère, employé plus tard dans un pensionnat, disait dans une circonstance: « Je n'aurais jamais compris l'importance de la surveillance, ni la terrible responsabilité d'une Frère qui la néglige, si je n'avais pas eu le bonheur de me confesser au P. Champagnat ». Avant de terminer ce paragraphe, je ferai remarquer que le Vénéré Père recommandait beaucoup l'action de grâce après la confession; si absolument, disait-il, vous ne pouvez pas la faire immédiatement après que vous vous êtes confessé, tâchez de la faire un autre moment; n'oubliez pas surtout de faire votre pénitence, attendu qu'elle est une partie intégrale du sacrement de pénitence; ne pas la faire par négligence est une faute que l'on doit déclarer au st tribunal. [52]

§ II ième Communion


Si le Père Champagnat montrait une grande ténacité pour (qu') on ne manquât jamais volontairement la confession hebdomadaire, il tenait encore plus à ce qu'on n'omît jamais, sans raison, les communions de règle, du jeudi, du dimanche et des fêtes chômées, et il s'élevait avec force contre ceux qui les négligeaient sans motif. Un jour, un Frère qui se trouvait de ce nombre, étant allé lui demander une permission qu'il désirait beaucoup d'obtenir: « Oh! mon Frère, lui dit le Vénéré Père, avec un profond soupir, qui trahissait son émotion, que je voudrais que vous me demandassiez une autre permission et que je serais heureux de vous l'accorder! ». En ce temps-là, comme aujourd'hui, tous les huit jours, ceux qui voulaient s'approcher de la Ste table en demandaient la permission: c'est ce qui explique les paroles du Vénéré Père à ce Frère, qui depuis quelque temps omettait les communions. Nous dirons, en passant, qu'il défendait publiquement la Ste communion à ceux qui sciemment avaient dérobé de l'argent, des objets de vestiaire ou classiques, appartenant à la maison ou à l'usage de leurs confrères, sans avoir vu leur confesseur et déclaré leur faute au supérieur ou au directeur. Lorsque je suis entré au noviciat, outre les communions de règle, il y avait encore des Frères très pieux, mais en petit nombre, qui faisaient la communion le mardi, comme communion de simple dévotion. Quant à celle du samedi, elle n'avait pas encore lieu à cette époque, car c'était le jour où le P. Champagnat confessait les Frères. En voici l'origine, autant que je puis m'en rappeler. Un Frère ancien, d'un établissement, doué d'une grande piété et très dévot envers la Ste Vierge, ayant demandé au Vénéré Père de faire une communion particulière le samedi, en sus de celle du [53] mardi, celui-ci le lui accorda volontiers, puis d'autres l'imitèrent, de sorte que bientôt la communion du samedi devint une communion de dévotion comme celle du mardi. Plus tard, elle fut permise à tous les Frères profès et, par exception, à tous ceux qui se préparaient à la profession et qui en avaient un grand désir. Il est à remarquer que pour faire toutes (les) communions de dévotion et autres extraordinaires, il fallait avoir une permission particulière du supérieur.

Le Vénéré Père, considérant la préparation à la Ste communion comme une chose très importante, avait établi qu'entre chaque communion il y aurait, autant que possible, un jour d'intervalle, et si la coïncidence de quelques fêtes marquantes empêchait ce jour de préparation, les communions de dévotion et même quelquefois celles du jeudi étaient remplacées. Cependant, il est arrivé que dans de certaines circonstances, il a eu permis, à raison de certaines rencontres de fêtes, deux et même trois communions consécutives, mais jamais quatre, par respect, disait-il, pour l'auguste sacrement, craignant que cette continuité de communions ne manquassent de préparation convenable, et aussi pour d'autres raisons dont j'ai perdu le souvenir. Cependant, je sais qu'il avait permis à un Frère d'un poste et d'une piété rare, la communion tous les jours, excepté le mercredi. Comme il avait une dévotion très ardente au Sacré Cœur de Jésus, sans doute qu'il est à présumer que, vu l'accroisse ment que cette dévotion a pris de nos jours, il aurait approuvé, comme communion de dévotion, celle du premier vendredi du mois, ou, suivant son principe, peut-être aurait-elle été remplacée par celle du samedi.

Le pieux Fondateur insistait fortement à ce que ceux qui n'avaient pas eu le bonheur de faire les communions de règle, restassent au moins pendant [54] I'action de grâce, parce que, selon son dire, ils devaient se dédommager de cette privation par une fervente communion spirituelle. Quant aux communions de dévotion, on n'était pas tenu d'y assister. Comme digression, je vais rapporter un petit fait qui m'en rappelle le souvenir. Le quatrième jour de mon noviciat - j'étais entré un samedi et par conséquent le mardi d'après, pendant l'action de grâces, je me rendis en classe avec les autres novices; sachant, d'une part, que le cher F. François, alors chargé de nous, était en prières, et d'autre part, étant bien éloigné d'avoir la foi du Vénéré Père, qui avait toujours Dieu présent devant lui, je me permis quelques singeries pour amuser les autres novices, mais voilà que le cher Frère François, interrompant son action de grâces, arrive subito, et me fait cadeau, pour début de ma première pénitence, d'une grande figure de Bible à apprendre par cœur, puis sans autre explication, il alla gravement continuer son action (de) grâce. Je vous laisse à penser si j'eus l'envie d'y revenir.

§ III ième Cantiques


Quoique le P. Champagnat aimât beaucoup le chant des cantiques, il préférait que l'on suivît les prières de la Ste messe avec le célébrant; même il y a eu un moment où tous ceux qui assistaient au st sacrifice répondaient au prêtre avec les servants. Cependant il avait toléré que l'on chantât des cantiques d'actualité à partir de l'Introït jusqu'à l'Evangile exclusivement, et depuis les premières ablutions jusqu'à la fin de la messe, mais seulement le mercredi et le vendredi; plus tard, d'après une demande qui lui fut faite, il permit ces deux jours de continuer le premier cantique jusqu'à la [55] préface exclusivement. Cependant il tolérait encore que le jeudi et le dimanche on chantât un cantique ad hoc pendant la Ste communion, mais seulement quand la majorité avait communié. On chantait aussi quelquefois un cantique à la Ste Vierge le samedi, au commencement de la messe, mais jamais à la fin, surtout s'il y avait communion. Il est à remarquer qu'on ne chantait pas de cantiques pendant la messe, lorsqu'il se trouvait une fête marquante; car alors il voulait que l'on suivît tout le temps la messe dans les heures. En tout cela, il suivait l'esprit de l'Eglise, qui désire que pendant la célébration de Sts Mystères, on ne fasse entendre que des chants liturgiques. Admirons encore une fois de plus le respect du Vénéré Père pour tout ce qui avait rapport au culte sacré. Je ne sais trop ce qu'il aurait pensé de l'harmonium qui, quelquefois, par ses sons cuivrés et assourdissants, enlève souvent à la mélodie son caractère religieux, surtout lorsque déployés avec toute leur intensité, ils couvrent tellement le chœur que l'on n'entend plus les paroles du texte, harmonie qui peut mettre en évidence le mérite de l'artiste, mais ordinairement au détriment de la piété, dont il émousse le sentiment, pour ne flatter que quelques oreilles et en irriter d'autres. A propos de cet instrument, le cher Frère François, qui avait si bien l'esprit du Vénéré Père, disait: « L'unisson, ou bien une harmonie douce et simple et sans fracas, est ce qu'il y a de plus convenable pour une communauté; il faut que l'organiste vise à soutenir le chœur sans vouloir le dominer; d'après moi, ajoutait-il, l'harmonium, dans les cas ordinaires, doit être un chantre, or un chantre n'a qu'une voix ». L'intention du Vénéré Père était encore que l'on chantât toujours un petit cantique à la fin du mois de Marie, qui se faisait de la manière suivante dans toutes les maisons de noviciat : [56]
1) Litanies de la Ste Vierge chantées;

2) Inviolata ;

3) Lecture suivie d'un exemple;

4) Prière à la fin d'un exemple: Souvenez-vous... Par votre Ste Virginité. etc. ...



5) Cantique - S'il y avait bénédiction, elle se donnait après les prières indiquées ci-dessus et se terminait par le chant du cantique.
§ IV ième Retraite du mois
De mon temps, le premier dimanche du mois était un jour de retraite consacré à se préparer à la mort, et à se renouveler dans les bons sentiments de la retraite annuelle. Et cette retraite avait lieu, non seulement dans les maisons de noviciat, mais encore le jeudi dans les établissements. Ce jour-là, à la Maison Mère, la récréation qui suivait la grand messe était remplacée par une demi-heure de méditation sur les fins dernières; il en était de même de la récréation qui suit les vêpres. Le R. Père faisait quelquefois lui-même cette méditation, ou bien on lisait pour sujet les maximes de St Liguori sur les fins dernières, ouvrage que le R. P. estimait singulièrement. Chacun, pendant toute la journée, devait être plus recueilli; même, je crois que les jeux étaient interdits pendant la récréation qui suit le dîner. Pendant la journée, on prenait un moment pour relire ses résolutions de l'année et, au besoin, en prendre de nouvelles. On invitait tous les Frères à faire l'acte de préparation à la mort et à réciter les litanies des agonisants. En un mot, c'était un jour de renouvellement dans la piété, la ferveur et l'observance de règle. [57]
§ V ième Discipline
On voit dans la Vie du Vénéré Père que l'ordre, le travail et la discipline lui étaient comme naturels, et qu'il recommandait particulièrement cette dernière aux Frères enseignants, la regardant comme la base de l'instruction et de l'éducation. Mais en cela, comme dans tout le reste, il en donnait le premier l'exemple. A son avis, l'ordre, le silence et la discipline sont ce qui donne aux communautés ce cachet religieux, de sainteté, qui édifie tous ceux qui les visitent. Aussi, la maison de l'Hermitage exhalait-elle quelque chose de ce parfum de piété et de recueillement, dont on est comme embaumé lorsqu'on visite la Trappe ou la Grande Chartreuse. Nous avons vu, dans le premier chapitre, quelle importance le pieux Fondateur attachait à l'observation de la règle du silence, qu'il appelait l'âme de la discipline. Mais c'était bien autre chose quand il s'agissait de quelques manquements au grand silence. Alors point de grâce; aussi, je ne me rappelle pas d'y avoir vu manquer personne ostensiblement. A ce propos de grand silence, voici un fait que m'a raconté l'excellent Frère Jérôme. Un jeune Frère infirme, des plus pieux et des plus silencieux, vit pendant la nuit son lit enflammé, à raison d'une brique qu'on avait mise au bas pour lui réchauffer les pieds. A cette vue, le croirait-on, au lieu d'appeler au secours, parce qu'il craignait de manquer au grand silence, il retirait peu à peu ses pieds à mesure que la flamme s'avançait; il aurait eu probablement bien du mal si le bon Frère Jérôme, faisant son tour habituel comme il est dit dans la Vie du P. Champagnat, pour voir si tout était en sûreté, ne fût arrivé à temps pour le secourir. Le récit de ce fait m'impressionna tellement que, lors de ma vêture, je demandai à prendre le nom de ce Frère, faveur que le Vénéré Père m'accorda [58] volontiers, surtout lorsque je lui dis le motif qui m'avait décidé à faire ce choix. L'ordre dans la maison n'était pas moins gardé que le silence; le Vénéré Père ne voulait pas que l'on courût à droite et à gauche dans le bâtiment, ou que l'on allât dans un atelier différent de celui où l'on travaillait, sans une permission qui, ordinairement, était donnée au moyen d'une médaille particulière que l'on devait rendre à celui qui l'avait remise, afin qu'il pût calculer si l'on n'y avait pas passé un temps trop considérable.

Tous les chefs d'atelier avaient un carnet où étaient notés ceux qui y venaient sans permission, ainsi que ceux qui y perdaient leur temps ou violaient la règle du silence. Ce carnet, tous les huit jours, était remis au P. Champagnat, et ordinairement il donnait une pénitence publique à ceux qui y étaient mal notés. Tous les huit ou quinze jours encore, le Vénéré Père réunissait les maîtres des travaux et les chefs d'atelier, leur demandait ce qui laissait à désirer dans l'ensemble de la maison, et ce qui pouvait donner lieu à quelque réforme; il indiquait à chacun la manière de s'y prendre pour réussir dans la partie qui le concernait, et surtout faisait connaître à tous les économies qu'ils pouvaient réaliser sur leur travail.

Quant à ceux qui n'étaient pas occupés dans des ateliers particuliers, le maître des travaux leur désignait, dès la veille, ce à quoi ils devaient s'occuper le lendemain; de sorte qu'au sortir de la messe, tous se mettaient promptement au travail, sans flâner de droite et de gauche, chose que détestait singulièrement le Vénéré Père.

Ici, par reconnaissance, qu'on me permette comme digression un mot sur mon chef d'atelier, le bon Frère Jean-Joseph, modèle accompli de piété, de simplicité, de droiture, de charité, et surtout de régularité. Capable au point de vue des dogmes de [59] la foi plus que ne le comportait son emploi, il était souvent interpellé pendant les lectures par le Vénéré Père, qui se plaisait à l'interroger surtout sur des questions religieuses, et toujours Frère Jean-Joseph répondait de manière à le satisfaire pleinement; aussi en était-il grandement estimé. Par son travail, consistant à tisser de la toile ou du drap, pour la maison ou pour les gens du dehors, il fournissait au Vénéré Père quelques petites sommes assez rondes. C'était avec un plaisir indicible qu'il les lui portait, et il se serait fait scrupule d'en garder seulement un centime pour son atelier, sans en avoir obtenu la permission. Tout en tissant sa toile, il faisait encore l'office de portier et de réglementaire. C'est lui qui, avec une charmante simplicité, dit au Procureur royal, lors de sa visite domiciliaire à l'Hermitage: « Je ne sais pas ce que c'est qu'un marquis, mais le Père Supérieur vous le dira. »

Il était tellement exact à sonner aux heures réglementaires qu'on ne l'a jamais surpris en défaut: l'horloge et la cloche confondant ordinairement leurs sons. Il me semble pourtant que s'étant oublié une fois, il en demanda publiquement pardon à genoux, au réfectoire. Ce vénéré Frère fut frappé d'une attaque d'apoplexie en jouant aux boules, et alla, je n'en doute pas, rejoindre le bon P. Champagnat auquel il avait été si dévoué.

Mais revenons à notre sujet et disons encore un mot de l'esprit d'ordre de notre aimé Fondateur. C'était toujours avec peine qu'il voyait aller à la cuisine, sans de bonnes raisons, ou même à l'infirmerie si l'on n'était pas malade, à moins que ce ne fût pour rendre visite à ceux qui l'étaient. Le bon Père lui-même ne manquait pas tous les jours de les visiter, de les consoler et de s'enquérir s'il ne leur manquait rien, et il aurait voulu que tous en eussent pu faire autant. A part ces visites de [60] charité, il ne voyait qu'avec peine ceux qui quittaient leur occupation, bien qu'instantanément13, pour des riens, et surtout pour contenter leur curiosité en cherchant à apprendre quelques nouvelles des allants et venants, ou par des papiers publics. Aussi, je ne sache pas avoir vu un seul journal à la main de personne pendant tout mon noviciat. Voici un fait qui prouvera comment il traitait les curieux qui veulent toujours tout voir et tout entendre. Un jour, le collège de St. Chamond, étant venu en promenade aux abords de l'Hermitage, se permit, sans en prévenir le P. Champagnat, de s'avancer jusqu'au portail, et là de jouer avec leurs instruments, des airs tout à fait inconvenants pour une maison de silence et de recueillement. A l'audition de ces sons inaccoutumés, les Frères qui n'entendaient habituellement que le murmure sourd et monotone des eaux du Gier, cherchent à se rendre compte de ce que cela peut être; plusieurs, surtout des jeunes, quittent furtivement leur travail et se dirigent vers le portail, regardent à travers la grille, écoutent et naturellement se permettent de parler, mais cependant pas trop fort, craignant quelque malencontreuse surprise. Le Vénéré Père, qui les guettait sans qu'ils le vissent, se contente de prendre leurs noms. Leur curiosité satisfaite, ils se retirent à petit bruit, les uns après les autres, et regagnent leur occupation. C'était quelque temps après la récréation qui suit le dîner que cette irrégularité avait eu lieu. Mais ne voilà-t-il pas que le soir après le bénédicité qui précède le souper, le Vénéré Père interpelle les coupables, au nombre d'une dizaine, et les condamne à manger leur potage à genoux au milieu du réfectoire, accompagnant cette pénitence d'une forte correction sur [61] leur peu de mortification, blâmant principalement quelques anciens qui s'étaient mêlés aux jeunes.


§ VI ième Pénitences

Le P. Champagnat voulant à tout prix former des religieux humbles, simples et modestes, et donner à sa Congrégation un cachet particulier d'humilité, par la pratique des humiliations, se faisait un devoir de donner des pénitences publiques, non seulement pour des fautes marquantes, mais encore quelquefois pour des fautes qui paraissaient légères en elles-mêmes. Il y a plus, des Frères jeunes et anciens faisaient de temps à autre des pénitences pour le seul motif de s'humilier. Ainsi, j'ai vu le cher Frère François et le cher Frère Louis-Marie, supérieurs généraux l'un et l'autre après la mort du Vénéré Père, demander pardon, à genoux au réfectoire, des manquements à la règle qu'ils auraient pu faire, et de la peine qu'ils auraient pu causer à leurs confrères.



Aussi, y avait-il en permanence au réfectoire une chaise, et plus tard une petite table ronde qui recevait assez souvent des convives, et dont le siège était simplement les deux genoux sur le sol. Outre cette pénitence publique pour les manquements un peu considérables, il y en avait bien d'autres dans le détail desquels je n'entre pas, attendu qu'elles sont énumérées dans la règle. Il y avait aussi des pénitences de circonstance, et c'étaient les plus usuelles. Ainsi, par exemple, cassait-on ou détériorait-on quelque objet, on devait se présenter au réfectoire avec les fragments de l'objet cassé ou endommagé, et on devait y rester jusqu'à ce que le Vénéré Père eût fait signe de se retirer. Un jour, ayant eu la mauvaise chance de casser par le milieu, l'instrument qui sert à retirer la braise [62] du four, j'allai déclarer ma maladresse au bon Père, qui pour toute réponse me dit sèchement: « Vous savez la pénitence d'usage ». « Mais, mon Père, lui dis-je naïvement, c'est bien long pour traîner les deux morceaux au réfectoire ». Alors, sans rien me dire, admirez sa bonté, il se mit à sourire. Sans peine, je compris que j'étais quitte de faire la cérémonie accoutumée et à laquelle je ne tenais pas beaucoup.

Il ne faut pas croire que ces pénitences un peu multipliées irritassent les Frères qui en étaient l'objet; point du tout; on les faisait religieusement et gaiement; ce qui fatiguait le plus, c'était d'avoir peiné le bon Père. Du reste, ces pénitences étaient toujours données sans fâcherie et avec tant de justice, qu'on n'aurait jamais osé répliquer un seul mot. Par amour pour la justice, il voulait que tous les chefs gardassent cette vertu à l'égard de leurs subordonnées; et, quand ils y manquaient, il les blâmait, sinon ouvertement, mais par des procédés qui leur faisaient sentir leur manque d'équité. Voici à ce sujet un fait, me concernant, et qui montre combien il exigeait que toujours la pénitence fût proportionnée à la faute. Un jour, pendant la lecture spirituelle, m'étant permis de faire du bruit dans mon bureau pour attacher une image à une petite chapelle que j'y avais faite, pour me rappeler celle que j'avais dressée dans la maison paternelle avec ma bonne mère, seul objet que j'avais regretté, le maître des novices, un peu émoustillé sans doute par quelques étourderies précédentes, car il m'en échappait assez souvent, me donne douze cents lignes à apprendre par cœur. Douze cents lignes, me dis-je en moi-même, mais c'est énorme pour la faute! Aussi, bien que j'eusse toujours fait mes autres pénitences sans mot dire, sentant bien que je ne les méritais que trop, celle-ci me parut si injuste qu'elle me fit verser d'abondantes larmes. [63] Connaissant la bonté et la justice du Vénéré Père, je me hasardai d'aller le trouver dans sa chambre, ayant le cœur bien gros et les yeux tout en pleurs. « Qu'est-ce qu'il y a? » me dit-il, en me voyant entrer. De suite, je lui racontai dans le plus grand détail le sujet de mon chagrin. Alors, sans me répondre, il tire une feuille de son tiroir, y fait dégoutter de la cire d'Espagne, y appose son sceau, écrit une seule ligne, signe la feuille et me la remet, en me recommandent d'être plus silencieux à l'avenir. Quel était le contenu de cette ligne? Le voici, textuellement: « Paiement des douze cents lignes ». Je le remercie de mon mieux et la porte promptement à mon créancier. Le bon Frère la reçut avec beaucoup de respect, voyant d'où elle venait, et tout fut fini par là. Maintenant, je le demande, était-il bon, était-il juste, notre Vénéré Fondateur? J'ajouterai, à la louange du bon Père, qu'il ne revenait jamais sur une faute commise, quelque grave qu'elle fût, quand il l'avait pardonnée, ou que, comme satisfaction, il en avait fait la réprimande, accompagnée d'une pénitence. Il l'oubliait si bien que, non seulement il ne la reprochait jamais, mais si elle se répétait, ou si une autre faute en éveillait naturellement l'idée, il ne faisait aucun rapprochement et agissait comme si elles eussent été indépendantes l'une de l'autre. On ne saurait croire combien ce procédé d'un cœur sans rancune et sans fiel lui gagnait l'affection de tous ses Frères. De cette droiture et de cette équité résultait nécessairement une juste balance qui garantissait de toute partialité à l'égard des Frères. Aussi ne lui a-t-on jamais reproché ce défaut, cause souvent du mauvais esprit qui règne dans quelques communautés. Sa devise pratique, à cet égard, était ces paroles de la Ste Ecriture: « A chacun selon ses oeuvres », ou celles de notre code: « Tous les Français sont égaux devant la loi. » De même, tous les religieux [64] sont égaux devant les mêmes règles qui les concernent.

§ VII ième Emulation




En lisant la Vie du P. Champagnat, on est presque étonné de l'importance qu'il attachait à l'étude et à la préparation du catéchisme, et combien à ses yeux était grave la culpabilité d'un Frère qui ne le ferait pas dans sa classe ou qui le ferait sans préparation et d'une manière aussi lâche que peu intéressante. Pour exciter l'émulation des Frères sur ce point capital de la Règle, il avait réglé à l'Hermitage, qu'autant que faire se pourrait, les élèves un peu capables fissent chacun le catéchisme à tour de rôle, non sur un sujet quelconque, mais sur le chapitre du jour. On était toujours averti d'avance, afin qu'on pût se préparer convenablement. A cet effet, divers catéchismes développés étaient mis à la disposition de ceux qui étaient désignés pour cela. Le Vénéré Père venait quelquefois incognito pour écouter celui qui remplissait cette fonction, afin de corriger au besoin ceux qui s'en acquittaient mal, et aussi pour donner un petit mot de louange à ceux qui savaient rendre cette leçon intéressante. Il aimait surtout entendre ceux qui le faisaient par des sous-demandes ad hoc, bien claires, bien précises et bien solides. Les Frères prédicateurs, c'est ainsi qu'il appelait ceux qui le faisaient sans questionner, n'avaient généralement pas son approbation, quelque capables qu'ils fussent d'ailleurs. Le ton, quoique animé, devait être modéré, les termes simples, les comparaisons justes et naturelles, etc. ... Comme il m'avait repris plusieurs fois sur le diapason trop élevé de ma voix, voyant que je ne me corrigeais guère, un jour, il entre soudainement dans la salle où je catéchisais, et me donna [65] une verte semonce, mais si adroitement qu'elle ne fit que rehausser mon autorité au lieu de l'affaiblir. Malheureusement, plus tard, je n'ai pas profité de sa charitable correction, et que de fatigues inutiles ne s'en est-il pas suivi !...

Les dimanches et les fêtes, tous étaient tenus d'apprendre l'Evangile; il entendait qu'on e récitât à la lettre, autant que possible, parce que, disait-il, les paroles qu'il contient, ayant été dictées par le St Esprit, les tronquer est une espèce de profanation. Il venait quelquefois le faire réciter lui-même et en donner l'explication, et cela avec tant d'intérêt qu'on ne pouvait se lasser de l'entendre. C'était un véritable plaisir pour lui, lorsque, en sus de l'Evangile, on récitait encore l'épître. Et plus grande encore était sa satisfaction, quand le dimanche des Rameaux, on se présentait en nombre pour réciter la Passion. Aussi se préparait-on à cette récitation plusieurs jours à l'avance. Une belle image était toujours la récompense de ceux qui l'avaient récitée convenablement. J'en sais quelque chose.

Comme il avait remarqué que, généralement, on ne répondait pas aux bénédicités de certaines fêtes, lesquels alors étaient très variés, il faisait faire de temps en temps une composition là-dessus, qu'on lisait publiquement au réfectoire. Il en était de même pour la lecture du français et du latin. Pour l'une et pour l'autre, il faisait continuellement la guerre aux prononciations vicieuses, au manque d'énonciation de toutes les lettres, à là mauvaise articulation des voyelles et des consonnes, au défaut de ponctuation, en un mot, à tout ce qui rend une lecture vicieuse. Je l'ai vu passer souvent une partie des repas à corriger certains Frères, que le mauvais accent de leur pays aurait pu rendre ridicules aux gens du dehors, et donner aux enfants une fausse prononciation dans la lecture. Je me rappelle surtout qu'un Frère, d'après un accent de [66] son patois, prononçait le son 'an' toujours 'on'; il disait, par exemple, les 'onges' pour les 'anges'; il n'est pas possible de dire combien le Vénéré Père s'est donné du mal pour le corriger de cette bizarre prononciation.

La bonne lecture du latin était encore l'objet de sa sollicitude. A ce propos, il disait : «Les Frères, obligés de réciter le St Office et autres prières dans une langue qu'ils ne comprennent pas, sont exposés à faire des fautes nombreuses et grossières; de plus, ils doivent former les enfants à cette espèce de lecture, pour qu'ils puissent suivre les offices de l'Eglise; enfin, quelquefois eux-mêmes peuvent se trouver dans le cas de chanter la messe, les vêpres, etc. ... Pour toutes ces raisons, il importe qu'ils sachent parfaitement lire le latin pour ne pas défigurer cette langue que comprennent MM. les curés et autres ecclésiastiques qui ne manqueraient pas de s'en offenser, si l'on venait à la défigurer.

De plus, ajoutait-il encore, cette langue étant employée dans le culte divin, dans le texte sacré de l'Ecriture Sainte, et dans beaucoup de formules de prières, mérite qu'on en respecte jusqu'à la moindre syllabe. De là, l'usage de baiser la terre, au milieu de la salle, lorsqu'on se trompait ostensiblement en récitant l'office et qu'on distrayait le chœur.

Le P. Champagnat attachait aussi une grande importance à la belle écriture, et il la regardait, avec le catéchisme et la bonne lecture, comme l'essence de l'enseignement primaire. Cependant, il ne négligeait pas de stimuler les Frères pour les autres sciences, telles que l'orthographe, la composition française, l'arithmétique, l'histoire (surtout l'histoire sainte)14, la géographie, l'arpentage, la tenue des [67] livres et le dessin linéaire. Il y avait même pour cette dernière branche d'enseignement un maître étranger; et je me rappelle qu'il en faisait venir un autre pendant les vacances, pour donner des leçons de tenue de livres, partie de l'enseignement qui avait alors une grande importance. En un mot, toutes les branches que comportait l'enseignement primaire étaient mises en activité, par son tact, son savoir-faire, son dévouement, mais jamais cet entrain n'était au détriment du catéchisme, des exercices de piété et de la Règle.


Nous ajouterons qu'outre les conférences trimestrielles et les examens de vacances, dont il est parlé dans la Vie du Vénéré Père, il avait 'établi dans toutes les maisons de noviciat, afin de stimuler les Frères, un exercice appelé: dominicale. Il consistait dans une récapitulation des leçons de toute la semaine et durait environ une heure. Celui qui était appelé à réciter, s'avançait au milieu de la salle, et là, debout devant une chaise, répondait aux questions qui lui étaient adressées. Souvent le P. Champagnat venait y présider, et ne manquait pas de donner une correction plus ou moins forte, à ceux dont les réponses dénotaient la négligence ou la paresse, et qui préalablement lui avaient été désignés comme ayant ces défauts.

Par ce que nous venons de dire, concluons que l'esprit de foi dirigeait le P. Champagnat en tout, même dans les plus minutieux détails. Il y a bien d'autres usages qui ont été abrogés et dont je ne parlerai pas, attendu qu'ils ne se rattachent pas ou peu à mon sujet. Cependant, combien ne sont pas respectables, après les Règles, dans une communauté, les us et coutumes établis par le Fondateur. Et comment comprendre que, sans y être autorisés, quelques-uns, les regardant comme choses surannées, en établissent d'autres d'après leur goût, au [68] lieu de les conserver, au moins par respect, et même dans toute leur intégrité15.
Fin

du Chap. III ième [69]


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