ÉVY, Éditeur



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LETTRES A M.

PANIZZI

CI

Paris, 25 octobre 1860.

Mon cher Panizzi,

Je reviens à l'affaire de lady ***. Elle a tort, cela saute aux yeux ; mais, permettez-moi cependant de vous dire que vous attribuez parfois à méchan­ceté, de sa part, ce qui, à moi, me semble n'être que la sotlise d'une pauvre femme livrée aux prê­tres, ayant peur du diable, et prête à tout faire pour n'avoir pas affaire à lui. La dame a toujours prétendu aux grands sentiments et à l'effet. Je trouve qu'un juge impartial s'élonnera que vous vous en preniez à des mots de jargon de belle dame. Une femme en faisant l'amour dit qu'elle meurt. Tout cela n'est que forme de style. Le fond de l'affaire est celui-ci : Une amie que vous avez connue libérale, bonne enfant, philosophe, est devenue grincheuse, dévote outrée, vouée aux prêtres et à la racaille courtisanesque. Ce n'est plus la même femme, laissez-la.

À propos de différends, il paraît qu'il y en a eu

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de graves entre Sa Majesté et notre ami Fould. Je pense que cela est raccommodé à présent, et j'y ai travaillé selon mes petits moyens. Il me semble que tout le monde y gagnera, particulièrement le maître.

Adieu, mon cher Panizzi. Je suis revenu ici en pas trop mauvaise santé, sauf un rhume qui est une mauvaise affaire pour moi. L'air de Biarritz est vraiment très bon. Je regrette de ne pouvoir en dire autant de la cuisine.

Cil

Paris, 28 octobre 1800.

Mon cher Panizzi,

Je conçois parfaitement tout le chagrin que vous donne cette triste affaire. Elle me rappelle dei souvenirs encore pénibles. Lorsqu'on perd l'estime qu'on avait pour un ami, et surtout pour une amie, cela vous gâte tout le passé. On n'a plus même les souvenirs du bo:i temps, qui n'est plus. Pourtant, je tiens toujours à mon opinion. Il me semble que vous attachez à des

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phrases de mélodrame, une importance qu'elles ne méritent pas. Milady a élé toujours portée à la déclamation, et c'est, d'ailleurs, le défaut de la plupart des femmes. Tant qu'elles sont jeunes et jolies, cela ne va pas mal. On ne s'en aperçoit que lorsqu'elles vieillissent. Il y a une douzaine d'années qu'un malheur semblable au' vôtre m'est arrivé. Seulement il n'y avait pas de politique et pas trop de religion dans l'affaire. J'en ai élé horriblement affecté, d'abord pour le fait en lui-même, ensuite par l'indignation que me causait l'injustice avec laquelle on m'a­vait traité. Je me mets à voire place et je vous plains de tout mon cœur.

Je crois complètement arrangée l'affaire de Fould, ce qui me réjouit. La session ne sera pas des meilleures, à ce que je crains ; mais, sauf l'af­faire du Mexique, il me semble qu'on pourra s'en tirer heureusement.

Je compte partir pour Cannes, dès que la cré­maillère sera pendue dans mon logement, c'est-à-dire d'aujourd'hui en huit, à peu près. Je ne serai donc pas à Paris quand M. Gladstone y viendra ; mais il verra sans doute M. Fould, qui

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se fera un plaisir de le présenter. Si vous écrivez à M. Gladstone, vous pourrez le lui dire. Je suis persuadé que l'empereur aura beaucoup de plaisir à le voir.

On m'a fait, dans un journal belge, successeur de Bacciochi, et, dans un allemand, ministre de l'instruction publique. Je ne réclamerai que lorsqu'on me fera évêque.

Adieu, mon cher Panizzi ; je suis bien fâché de vous savoir souffrant. Je voudrais vous édifier au sujet de Cannes; mais la place me manque, je reprendrai ce sujet à ma première lettre.

cm

Paris, 30 octobre I8CC.

Mon cher Panizzi,

Je vous l'ai dit dès le commencement, vous exigez beaucoup de ludy ***. Une femme qui se convertit a peur du diable; elle est menée dès lors par les gendarmes du bon Dieu, chargés de réprimer le diable, id est les prêtres. Vous

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autres, philosophes, vous êtes parfois trop sé­vères pour les dévots. Vous les trouvez méchants; ils ne sont que faibles. Il faut peut-être se tenir à distance d'eux, mais ne pas les juger comme vous jugeriez un philosophe, votre confrère. .Enfin, ce qui est fait est fait. Le temps adoucira tout.

J'ai fait ma visite d'adieu à Saint-Cloud. J'ai trouvé le maître de la maison en excellente santé et très gai, madame aussi. Le prince impérial était aussi très gaillard. Il est probable qu'il n'y aura pas de Compiègne cette année.

Miss Lagden et mistress Ewer sont parties ce soir pour Cannes. Elles me chargent de vous dire, une fois pour toutes, que vous y seriez le bien­venu et qu'elles auraient soin de vous comme de moi. J'ajouterai que nous avons à notre disposi­tion le docteur Maure, qui est un bon médecin et des plus dévoués ; qu'il y a, de plus, un médecin anglais et un italien, le docteur Buttura, tous les deux intelligents, outre le soleil, l'air de la mer, la vue des bois et des Alpes, et de très bonnes selles de moutons. Des fiacres pour les gentle­men qui ne veulent pas se promener à pied ; des barques pour voguer sur le golfe presque

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toujours uni comme une glace ; la présence d'Edouard Fould et de sa cuisinière, artiste su­blime, et des grives aux baies de myrte, chez le docteur Maure, complètent le tableau de Cannes. Le drawback est l'absence de belles dames, peu ou point de soirée-s, et manque absolu de livres.

Adieu ; portez-vous bien et soignez-vous. J'ai prévenu M. Fould du passage de M. Gladstone. Non seulement il fera plaisir à M. Fould en allant le voir, mais je crois qu'il lui ferait de la peine en n'y allant pas.

CIV

Paris, 2 novembre 1SG6.

Mon cher Panizzi,

Voilà le pape en train de faire des bêtises. C'é­tait à prévoir: comme un prunier pousse des pru­nes, tout de même, un niais fait des niaiseries. Il parle de fuite lorsqu'il n'est plus question de le mettre à la porte. II a le goût du martyre, mais où ira-t-il? Je ne puis pas trop concevoir que le gou-

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vernement anglais ait un intérêt quelconque à at­tirer le pape à Malte. Autant vaudrait introduire des rats dans sa maison. Pourtant, ici nos poli­tiques de l'opposition croient que M. Odo Russell travaille à cela depuis plusieurs années, et ils di­sent que ce serait un grand malheur pour la France. Pour moi, je tiens que le grand malheur serait si Sa Sainteté venait chez nous. Ce serait. assurément un hôte très incommode. Je ne me re­présente pas trop ce que M. Gladstone est allé lui dire. Probablement la. conversation a été plutôt lilléraire que politique.

Je'vois ici quelques Anglais très effrayés des progrès que fait la réforme en Angleterre, entre autres lord Cowley. Vous vous rappelez qu'il y a longtemps que nous notions les progrès de la dé­mocratie dans votre pays. Aujourd'hui, ce n'est plus par des fentes qu'elle se glisse, elle fait des brèches, et Dieu sait où elle s'arrêtera. Il me sem­ble voir des enfants qui jouent avec des allumettes phosphoriques dans un bâtiment plein d'étoupes.

Je suis désolé de la maladie de lord Ashburton ; dit-on qu'il y ait quelque espoir de guérison ou s'il y a danger de mort? Ce serait une sorte d'es-

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poir aussi. Je plains sa pauvre femme de tout mon cœur. L'accident arrivé à votre ami au club est bien moins triste. Après un boulet de canon, qui vous tue glorieusement, c'est assurément ce qui peut arriver de mieux à un honnête homme. Je trouve qu'il n'y a rien de si embêtant que la douleur et, quand ou peut l'éviter, c'est un grand point. Bien entendu, qu'on ait le temps de dire un in manns, ou qu'on ait dans sa poche une absolu­tion inarticulo mortis de notre saint-père.

Pour quitter ce vilain sujet, je suis charmé de voir que vous ne faites pas tout à fait fi de mes gigots de Cannes. Nous allons nous mettre en quête d'un appartement convenable à votre grandeur avec un vvater-closet, comme vous dites si chas­tement, à proximité. La fréqucnlation des Anglais a beaucoup augmenté votre modestie naturelle. Yous rappelez-vous des maisons à Rome, où le water-closet, sans icater et sans clôture, est sur l'escalier, le trône caché par un rideau très court, en sorte qu'on voit les jambes de la per­sonne assise? Je me souviens d'avoir vu de très jolies jambes de cette façon, et je fus si bête, que je hâtai le pas.

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Adieu, mon cher Panizzi; portez-vous bien et soignez-vous. On dit qu'on va vendre la collection Blacas. Le Brilish Muséum est-il en fonds pour acheter? Il y a de bien belles choses.

CV

Paris, * novembre 18GC.

Mon cher Panizzi,

Je reçois votre lettre, qui me fait beaucoup de peine pour beaucoup de raisons ; la première, à cause de vous ; la seconde, à cause de moi ; la troisième parce que je vois avec chagrin votre nature originale modifiée, et permettez-moi de le dire, un peu pervertie par le contact des Anglais. Rien n'est plus désagréable que d'avoir cette ma­ladie peu poétique qu'on appelle la courante ; mais se rendre malade pour la dissimuler serait la pire chose du monde. Il est possible, je pense, de re­médier à cela. Je ne sais si je vous ai donné un remède arabe, dont nos gens se trouvent très bien en Afrique. On met dans un bol de la gomme ara­bique pulvérisée, une once ou une demi-once, et

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on y ajoute de l'eau, goutte à goutte, de manière à en former une pâte assez épaisse, qu'on avale. Joignez-y un peu de sucre, si vous voulez. Cela opère de deux manières : médicalement et physi­quement. Cela calme l'inflammation du tube in­testinal, et cela le revêt d'une sorte de couche solide qui le met à l'abri des irritations pendant quelque temps. Je sais force officiers qui s'en sont trouvés merveilleusement. Permettez-moi d'espérer, mon cher ami, que vous ne renoncez pas tout à fait à vos projets et que vous vous ap­pliquerez à concilier Vutile dulci, les soins de votre ventre et ceux de votre santé générale. J'ai d'assez mauvaises nouvelles de Rome. Il pa­raît qu'on s'agite beaucoup. Le pape, de son côté, ne manque pas une sottise, à faire ou à dire. On paraît craindre que, aussitôt après le départ du corps d'armée, il y ait une révolution. C'est l'es­poir des mazziniens, et il y a, dit-on, à Rome, un parti qui y pousse. On prétend ici que Ricasoli y aide de tout son pouvoir, tant parce que c'est son opinion, que par esprit d'hostilité personnelle contre l'empereur. Il me semble qu'il y a un peu d'exagération.

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S'il arrivait quelque catastrophe, cela nous mettrait dnns la position la plus difficile et la plus dangereuse; car il est triste de le dire, mais c'est la vérité, le papisme est ici presque gé­néral. Yoltaire a fait un fiasco solenne, et l'in­fâme est plus puissant que jamais. Vous noterez que toutes les inspirations déplorables qu'on •donne au pape lui viennent de France.

Adieu, mon cher Panizzi ; donnez-moi prompte-ment de vos nouvelles. Je pars ce soir. L'impéra­trice est très enrhumée; l'empereur est parfaite­ment bien.

CVI

Cannes, 18 novembre 18G6.

Mon cher Panizzi,

Je connais votre maladie et je la crois très remédiable. Il vous faudrait de deux choses l'une : ou bien un médecin,, homme d'esprit et assez pa­tient pour vous écouter souvent sur le sujet gas­trique. Cela ne se rencontre que très rarement, les docteurs habiles ne donnant pour l'ordinaire leur attenlion qu'à des cas graves. Ou bien, il

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faut.être votre médecin à vous-même, à l'exem­ple de votre compatriote Tibère, empereur ca­lomnié par ce polisson de journaliste nommé Tacite. Il s'agit, et cela vaut la peine qu'on y réfléchisse très sérieusement, de rechercher par des expériences, ce qui convient et ce qui ne convient pas à votre estomac. Essayez d'abord de boire à vos repas de l'eau de Saint-Galmier ou de l'eau de Gondillac. 11 est très probable que vous vous en trouverez bien. Essayez encore de prendre un peu de carbonate de soude, avant de manger. Enfin, essayez encore quelque chose de plus simple, c'est de changer les heures de vos repas.

Soyez convaincu qu'après un mois d'étude, vous aurez trouvé le régime qu'il vous faut suivre, et alors ce n'est plus qu'une affaire de fermeté pour persévérer et né pas manquer à la loi qu'on se sera prescrite et dont on ne doit ja­mais s'écarter sous peine de retomber dans la série des petits maux innomés, qui sont, en réalité, très lamentables, bien qu'il ne se trouve personne pour vous plaindre.

Je désire beaucoup que ce que vous me dites

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de Ricasoli soit vrai ; je croyais qu'il avait, une dent contre nous et particulièrement contre l'em­pereur. Il est bien naturel qu'il agisse dans l'in­térêt de son pays ; la seule chose qu'on puisse lui demander, c'est de ne pas susciter gra­tuitement des embarras aux aulres, sans avan­tages pour lui-même.

Autant qu'on en peut juger par les dernières nouvelles, il semble, au reste, que le gouverne­ment italien soit bien d'accord avec le nôtre sur la question romaine. Il veut empêcher qu'il n'y ait du tapage à Rome tant que le pape vivra, et c'est, je crois, ce qu'il faut souhaiter pour la France et pour l'Italie.

Yous savez quelle est ma façon de penser sur le pape et les prêtres. Je déplore tous les jours que François Ier ne se soit pas fait protestant. Mais, puisque nous avons le malheur d'êlre catholiques, il nous faut dix fois plus de prudence pour vivre en paix. Si une excitation religieuse venait s'a­jouter à tous les ferments que nous possédons, nous irions assurément et très rapidement à tous les diables. Le pouvoir de ces gens-là est encore immense, malgré Renan et tous les philosophes, et

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ils ont encore bien des couleuvres à nous faire avaler.

Adieu, mon cher Panizzi. Méditez la partie médicale de ma lettre. Veuillez vous souvenir, de plus, qu'il y a dans le monde une petite ville nommée Cannes, où, depuis huit jouri, on ne voit guère un nuage, et où il fait presque trop chaud ; où enfin il y a des gigots de mouton excellents que nous serions charmés de vous faire manger.

CVII

Cannes, 29 novembre 186G.

Mon cher Panizzi,

J'espérais que nous achèterions la collection Plaças. Je trouve que vous la payez cher ; mais, à tout prendre, vous faites une très bonne affaire. Vous n'aviez rien de très beau en fait de camées et de pierres gravées, et vous gagnez un certain nombre d'objets admirables, quoique plusieurs des signatures des pierres gravées soient fausses (ceci inter nos). Les vases ne sont guère remar-

II. 17



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quables. La toilette romaine d'argent, quoique d'un très bas temps, est un morceau unique. II y a une tête d'Esculape dont on fait grand cas, et qui, à mon avis, est médiocre. Je n'ai pas examiné la collection de médailles. Il y a une suite romaine en or qui, dit-on, est très belle. Au résumé, je vous fais mes compliments, veuillez les faire à Newton et à M. Disraeli.

Yotre Angleterre, mon cher ami, s'en va à tous les diables. Feu notre regretté ami lord Palmers-ton y a beaucoup contribué. Souvenez-vous qu'un jour son nom sera maudit pour la plus grande faute qu'homme d'État ait commise, son refus de reconnaître conjointement avec nous la Con­fédération du Sud. Yous vous moquez de nous pour notre affaire de Mexico, dont heureusement nous nous tirons, la queue entre les jambes ; mais vous aurez la plus lourde part des conséquen­ces.

Je voudrais que le pape fût dans le sein d'A­braham. S'il avait sous sa tiare un grain de cer­velle, tout s'arrangerait au mieux. Le malheur est qu'il est une honnête bête, et un bon chrétien. Il est poussé par nos plus mortels ennemis, qui

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ne désirent qu'une chose, c'est d'en faire un mar­tyr et des reliques.

Il n'est que trop vrai que notre amie, madame de la Rime * veut aller à Rome. Tous les gens de la maison, surtout les principaux commis, s'y opposent tant qu'ils peuvent. Je crains bien que monsieur de la Mime, qui a une peur bleue des scènes, n'ose pas dire son veto. A présent, figurez-vous les conseils que peut donner quel­qu'un qui n'a peur de rien et qui ne voit les choses qu'au point de vue chevaleresque !

Il y a, comme on dit, à boire et à manger, dans la circulaire de Ricasoli. Si les Romains l'en­tendent bien, je pense qu'ils mettront le saint-père à la porte. La chose en elle-même me serait particulièrement agréable, n'étaient les fâcheu­ses conséquences qui peuvent en résulter pour nous. Il est triste de confesser que nous sommes bêtes; mais je suis convaincu que rien ne pourrait être plus funeste à la dynastie ré­gnante que la fuite de ce vieux prêtre.

Adieu, mon cher Panizzi; vous ne me parlez ni

1. L'impératrice.

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de votre santé ni de Cannes. Nous avons trop de soleil. Yenez donc !

CVIII.

Cannes, 7 décembre 1SCG.

Mon cher Panizzi,

J'ai vu avec plaisir que la démonstration de lundi dernier était tournée, comme on dit, en eau de boudin. Cela n'empêche pas que la chose ne soit bien grave. Il suffit de voir la façon dont on en parle, et les éloges que le Times donne aux ouvriers intelligents, etc., qui exécutaient cette parade. On se réjouit qu'il n'y ait eu que. vingt-cinq.mille hommes à la procession, mais soixante-dix mille billets ont, été vendus, et c'est bien du monde. Quelle est la vérité sur le fénianisme? Est-ce un hoax dans lequel le gouvernement donne tête baissée, ou bien la chose est-elle réel­lement sérieuse? Mais quelle est la situation de l'Angleterre, et quel rôle va-t-elle jouer dans la question d'Orient?

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Grâce à Dieu, il parait que le voyage de ma­dame delà Rune est tombé dans l'eau. Du moins j'ai des rapports de gens bien informés qui disent qu'il n'en est plus question. Si, comme je le crois, l'affaire s'est faite et défaite en famille et sans éclat, tout est pour le mieux.

La prospérité de ces canailles de Yankees est effrayante. Près d'un milliard de surplus dans leur budget, après quatre années de guerre! Le discours du président Johnson ne nous promet pas poires molles, ni à vous non plus. Quoi que vous en disiez, c'était dans l'œuf qu'il fallait écraser l'aigle américaine (pour parler comme Victor Hugo). Et, si l'annexion de la Savoie a pu avoir sur lord Palmerston l'influence que vous dites, et l'a empêché d'accepter l'offre d'une in­tervention à frais communs, cela prouve encore davantage qu'il était bien vieux quand il est morl.

Je crois que le pape s'en ira de Rome, car il est bête et il est conseillé par de méchantes bêtes. Il nous donnera une belle occasion de faire des sottises. J'ai encore quelque espoir qu'on se con­tentera d'en dire. Pourvu qu'il n'emporte pas les

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archives du Vatican, nous nous consolerons, moi du moins, et vous aussi, je pense.

Nous attendions ici DuSommerard. Au moment où il allait partir, on l'a mis en réquisition pour l'Exposition universelle, et le voilà attaché à la chaîne in aeternum, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'année prochaine.

On nous annonce l'arrivée prochaine de Cousin et de Barlhélemy-Saint-Hilaire. Edouard Foukl, avec une incomparable cuisinière, sera ici le 20. Elle fait des sauces à se lécher les doigts jus­qu'au coude!

Adieu, mon cher Panizzi. Je respire assez bien pourvu que je ne sorte pas le soir, pourvu que je fasse attention à tout, triste chose! Heureux temps que celui où l'on peut ne faire attention à rien !

CIX

Cannes, 21 décembre 18G6.

Mon cher Panizzi,

Rien n'est encore décidé au sujet du voyage qui nous inquiète. Le général Fleury, que je viens de

LETTRES A M. PANIZZI 263

voir, m'en donnait l'assurance, il y a une heure. Je crois, pour ma part, que l'inconcevable discours d'adieu de Sa Sainlelé aux officiers français a fait plus d'effet que tous les raisonnements qu'on a pu faire. Les Vénitiens d'autrefois disaient qu'ils étaient Vénitiens avant d'être chrétiens; notre au­guste hôtesse est impératrice avant d'être chré­tienne.

Le général Fleury paraissait extrêmement con­tent du roi, et de Ricasoli encore plus. Il me dit que c'est un homme tout d'une pièce, sur la pa­role duquel on peut compter absolument. Ici, on est très content du discours du roi à l'ouverture du Parlement.

On nous annonce ici pour demain l'arrivée de lord Russell, qui viendrait faire quelque séjour, car on lui cherchait une villa, rara avis, en ce moment, où tout est plein. J'irai lui faire ma cour dès que je le saurai installé.

Malgré la lune et le soleil, je ne suis guère con­tent de ma santé. Je respire tous les jours plus difficilement. Quelquefois j'en prends mon parti, d'autres fois cela m'agace et me donne les blue-de-vils. Je ne puis m'empêcher de regretter, comme

26'i LETTRES A M. PANIZZI

le roi don Alphonse le Chaste, de n'avoir pas été consulté pour l'arrangoment du monde. Il eût été hicn facile de le faire moins bêle, et, s'il était né­cessaire d'y faire entrer la mort, j'aurais du moins voulu en ôter la souffrance.

Adieu, mon cher ami ; votre bienheureux patron saint Antoine vous en préserve!

CX

Cannes, 27 décembre 18G6.

Mon cher Panizzi,

Le voyage de madame de la Rune est à tous les diables, et elle y a renoncé sans perdre sa belle humeur. Le quomodo est encore un mys­tère pour moi, qui n'est pas éclairci. Jugeant par son caractère, que je connais assez bien, je suis porté à croire que la sortie de Pio Nono au gé­néral Montebello, qui n'était ni charitable, ni chrétienne, ni polie, ni politique, a plus fait que tous les arguments pour changer sa résolution. Ce qui me surprend, c'est que M. Ricasoli s'était montré d'abord très favorable au voyage en ques-

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tion ; il en attendait beaucoup. C'est ainsi qu'il s'en est exprimé devant le général Fleury à Flo­rence.

La tranquillité de Rome et de l'Italie décon­certe beaucoup nos cléricaux. Ils seraient char­més d'avoir un martyr de plus à mettre dans leurs litanies. Que cela dure encore quelque temps. Non vixerit an>ws Pétri. J'espère qu'alors ce sera une affaire finie et qu'on inventera autre chose. Il serait monstrueux, en effet, qu'on fît encore un pape avec un collège composé comme il est en majorité d'Italiens, et d'Italiens en quelque sorte fuorisciti. Je ne pense pas que la catholicité se soumette. Ou l'on fera une nouvelle application du suffrage universel, ou l'on mettra la clef sous la porte, et nous irons fouiller dans les archives du Vatican.

Il est très vrai que la loi sur le recrutement de l'armée, ou plutôt le système mis en avant, cause beaucoup de mécontentement, mais sur­tout dans la bourgeoisie, et il est à remarquer que l'opposition orléaniste, dont le Journal des Débats est la plus pure expression, se signale surtout par ses attaques, après avoir crié par-

266 LETTRES A M. PANIZZI

dessus les toits à l'imprévoyance du gouverne­ment qui n'arme pas en sentant M. de Bismark sur la frontière. Il n'est que trop vrai qu'à force de prêcher que le souverain bien est l'argent, on a profondément altéré les instincts belliqueux de la France, je ne dis pas dans le peuple, mais dans les classes élevées. L'idée de risquer sa vie est devenue très répugnante, et ceux qui s'ap­pellent les honnêtes gens disent que cela est bas et grossier. Ces messieurs en feront tant, qu'ils obligeront l'empereur à se jeter dans les bras du populaire, à quoi, d'ailleurs, il a toujours eu quelque propension. On m'écrit que, lorsqu'il est rentré de Compiègne à Paris, les ouvriers et les gens du peuple l'ont reçu avec un enthousiasme qui semblait une protestation contre l'opposition des gens en habits noirs.

Adieu, mon cher Panizzi ; bonne fin d'année, bon commencement de l'autre.

LETTRES A M. PANIZZ1

2G7

CXI

Cannes, 7 janvier 1807.

Mon cher Panizzi,

J'ai fait visite avant-hier à lord Russell, que j'ai trouvé revenant de la promenade, dans le costume de M. Punch, avec milady. Il m'a paru mieux por­tant, moins maigre, mais cependant fatigué et l'air d'un homme qui n'espère plus rien. J'en­tends plusieurs Anglais d'ici dire qu'il est très possible, voire probable, que lord Derby tienne encore cette session. Milord et milady ont été, d'ailleur.--, très aimables. Je n'ai pu réussir à les faire parler politique. Ils ont amené une ribam­belle d'enfants.

Les nouvelles que je reçois de Paris sont assez-bonnes. Le côté financier est excellent. La loi sur le recrutement devient, à ce qu'il paraît, fort anodine et probablement ne suscitera pas de grands orages. Elle aura de plus l'avantage de n'alarmer personne en Europe, ce qui est un grand point. Malgré la décadence de l'esprit mili-

268 LETTRES A M. PANIZZ1

taire en France,,je crois qu'en cas de besoin, nous pourrions encore trouver des forces suffisantes pour prêter le collet à tout venant.

Je trouve qu'on est très sage en Italie et que les choses y prennent une excellente tournure, quoique je ne croie guère à la réalisation du pro­gramme de M. Ricasoli, d'une église libre dans un État libre. Oulre que le système n'a jamais été du goût des prêtres, je me demande s'il est prudent de l'adopter le lendemain d'une révolution. Il y a tant de points de contact entre le gouvernement et ce que ces messieurs appellent la religion, que de nombreux conflits sont inévitables. Ils les feront naître partout où ils se croiront en force. Il me semble, d'ailleurs, que ce vieil entêté du Vatican perd du terrain, même ici. Il est par trop niais, il y a en lui la douceur obstinée d'un moulon.

Je fais des projets de voyage pour cet été. L'exposition universelle rendra Paris intenable pour les Parisiens, el j'ai quelque envie de passer mes vacances à Venise, où un de mes amis est consul général. Voulez-vous venir prendre des glaces au café Florian sans risque de les gâter par la vue des uniformes blancs? On me dit. d'ailleurs,

LETTRES A M. PANIZZI 2C9

que Venise sera fort solitaire cet été. Au point de vue commercial et industriel, je ne crois pas qu'elle reprenne jamais son antique splendeur. Ancône, Trieste et Tarente ont trop d'avantages sur elle; mais ce sera toujours une ville char­mante, où les oisifs passent le temps d'une façon agréable.

Adieu, mon cher Panizzi; portez-vous bien et donnez-moi de vos nouvelles.

CXII

Cannes, 20 janvier 1SG7.

Mon cher Panizzi,

Nous avons été ici pendant trois jours sans communications avec le Nord, la neige ayant en­terré le chemin de fer entre Avignon et Valence. C'est pendant ce temps-là que le pauvre Cousin est mort d'une apoplexie presque foudroyante et que rien ne pouvait faire prévoir. 11 avait dîné très gaiement la veille. Il s'est plaint le lendemain matin (dimanche dernier) d'avoir mal.dormi, mais cela ne l'a pas empêché de travailler à son ordi-

270 LETTRES A M. PAN1ZZI

naire loule la matinée. Vers une heure, il a élé pris d'une invincible envie de dormir qu'expli­quait la mauvaise nuit de la veille; il s'est assoupi sur un canapé et ne s'est plus réveillé. On a es­sayé en vain tous les remèdes pendant douze ou quinze heures. Il conservait encore la vie maté­rielle, mais il n'a pas repris connaissance et n'a pas même ouvert les yeux. L'expression de sa figure était si parfaitement calme, que probable­ment le corps même ne souffrait pas. C'était ce­pendant, je vous assure, un horrible spectacle que ce corps inerte résistant encore à la mort, le sommeil d'un enfant et les râlements d'un mori­bond.

Barlhélemy-Saint-Hilaire, qui demeurait chez lui, et moi, nous n'avons pas voulu faire venir le curé, encore moins monseigneur Dupanloup, qui était à Nice et qu'on nous proposait de mander par le télégraphe. Cousin n'avait rien dit à ce sujet, et nous avons craint que, si les prêtres arrivaient, ils ne fissent quelque tour de leur métier, le Du­panloup surtout, qui en aurait fait une relation à sa manière. Le fait est, d'ailleurs, qu'il ne voyait ni n'entendait. Le curé de Cannes, après avoir


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