ÉVY, Éditeur



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1C8 LETTRES A M. PANIZZI

très changé et ressemble à une momie ambulante. Je doute qu'il sorte de ce pays-ci. Hier, j'ai lun-ché chez lord Glenelg, mon voisin, qui m'a beau­coup demandé de vos nouvelles. Il me paraît encore fort entier, et, à la façon dont il mange, je crois qu'il vivra encore longtemps.

Je vois que lady Palmerston a refusé la pairie. Cela ne m'a pas surpris et m'a plu. Lorsque vous la verrez, trouvez quelque moyen pour me rap­peler à son souvenir.

Adieu, mon cher Panizzi. Ces dames me char­gent pour vous de tous leurs compliments.

LXX

Cannes, 2 février 18CG.

Mon cher Panizzi,

Je suis un peu comme le poisson sur la bran­che. Je vis au jour le jour et m'abstiens de faire des projets. Je vois que vous n'êtes pas encore arrivé à ce point sublime de philosophie pratique et que vous faites des plans de voyage en Italie. Je n'y vois pas grand mal, mais vous devriez les

LETTHES A M. PANIZZI " 10!)

faire plus clairement. Tous me dites que vous voulez aller à Kissingen et vous ajoutez : / mean to go to ltaly from the beginning to the end of ihat month. Cette phrase manque de netteté. De •q uel mois s'ogit-il? Si c'est le mois que vous pas­serez "à Kissingen, la chose devient grave et frise 8'hérésie, en ce que vous donnez à entendre, par là, que vous pourrez être à la fois en Allemagne et en Italie, phénomène qui n'appartient qu'à M: de l'Être. Prenez garde de vous faire une mauvaise affaire avec son vicaire, auprès de qui vous n'êtes déjà pas trop bien noté. Au reste, si le mois mys­térieux de voire voyage coïncidait avec mes va­cances à moi, je serais charmé de l'employer à flâner avec vous et à manger des macaroni. Mais où iriez-vous? l'Italie est grande et, en un mois, on ne peut voir toute la botte.

Il me semble que notre Corps législatif, avec ses vérifications de pouvoirs qui n'en finissent pas, donne à l'Europe un spectacle passablement ridi­cule. A juger par ce début, il est probable que la

discussion de l'adresse durera au moins un mois.

*

C'est toujours le même esprit taquin et petit, qui taxe l'assemblée législative et la république,

170 LETTHES A M. l'ANIZZl

c'est toujours cette ignorance et cette incapacité des affaires sérieuses et pratiques, et ce goût immo­déré pour les paroles, verba prœtereaque nihil.

On dit que le gouvernement se refusera à toute discussion sur les affaires du Mexique par la très bonne raison que les négociations avec les États-Unis sont pendantes et que les débats pour­raient y nuire. S'il en est ainsi, l'opposition n'aura d'autre cheval de bataille que la réduc­tion de l'armée.

Je vois ici des g.ins fort en peine de votre ses­sion à vous. Tous déplorent que M. filadstone se soit attaché au cou cette pierre d'un Reform Bill, et prétendent qu'il ne s'en tirera jamais. Je pense que, si le cabinet était changé, vous recouvreriez votre liberté complète, et cette considération me rend assez indifférent sur le sort du liill qu'on va présenter.

Adieu, mon cher Panizzi. Je ne vais pas trop mal, quoique enrhumé. Portez-vous bien et pen­sez à moi quelquefois.

LETTRES A M. PANIZZI

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LXXI

Cannes, 13 février 18CG.

Mon cher Panizzi,

Je vois par le Times, que je lis 1res assidû­ment, qu'il est fort question d'une réorganisation du British Muséum. Je crains qu'on ne s'y prenne un peu à la française, je veux dire qu'on ne mette tout sens dessus dessous, au lieu d'amender len­tement et sagement. Et d'abord est-il possible de supprimer les trustées ? Pourrait-on remercier les représentants des donateurs du.British Muséum et se passer de leur surveillance, sans aller contre les dispositions testamentaires de leurs auteurs? Puis, pour un établissement qui a de grandes dépenses à faire, n'est-ce pas la plus heureuse combinaison pour obtenir de l'argent, qu'une compagnie indépendante et qui réunit dans son sein les hommes influents de tous les partis? Enfin, bien que souvent les trustées puissent être paresseux, tracassiers et absurdes, ne seront-ils pas toujours meilleurs qu'un mi-

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nistre frè-s occupé et pris, pour les besoins de la politique, parmi les Béotiens, dont l'Angle­terre abonde? J'ai essayé, mais en vain, d'in­troduire des trustées dans la réorganisation de la Bibliothèque impériale, et j'ai vu, à cette oc­casion, la jalousie et la susceptibilité du gouver­nement, qui ne veut jamais céder la moindre de ses attributions, lorsqu'un protectorat quelcon­que y est attaché. Du moment que les sous-ba­layeurs sont au choix d'un ministre, attendez-vous qu'on les choisira, moins pour leur talent à manier le balai que pour l'effet qui résultera de leur nomination sur le vote de monsieur tel ou tel.

Je suis frappé de la façon dont les journaux par­lent depuis quelque temps de Sa gracieuse Majesté la reine Victoria. Est-ce que la vieille loyauté an­glaise s'en va, comme l'aristocratie? On lui repro­che, je crois, des sentiments allemands ; mais qu'importe chez une reine constitutionnelle aussi bien gardée que la vôtre?

Il y a quelque temps que je n'ai eu de nouvelles directes de la comtesse de Montijo ; mais je sais qu'elle se porte assez bien et que ses yeux ne

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vont pas plus mal. Je lui ai écrit dernièrement et lui ai envoyé de vos nouvelles et vos compliments. Dans la dernière lettre, elle me demandait d'aller la voir en Espagne avec vous. Dur voyage pour un gastronome !

Je ne pense pas encore à retourner à Paris. D'abord j'ai trouvé le moyen de m'enrhumer mal­gré le beau temps, et je ne me soucie pas d'aller affronter les brouillards et les vents de Paris en celte saison. En second lieu, la discussion de l'adresse est si peu de chose chez nous, et toute celte affaire dure si longtemps, et est au fond si peu importante, que je n'ai aucune envie d'y prendre part. Je compte ne revenir que pour l'af­faire des serinettes 1, dont je suis rapporteur, et pour faire de l'opposition. Selon toute apparence, ce ne' sera pas avant la fin de ce mois que je son­gerai à déplacer les piquets de ma tente.

Adieu, mon'cher Panizzi. Soignez-vous et ne travaillez pas trop. "Veuillez me rappeler au sou­venir de tous nos amis.

1. Voir la lettre du 2G avril 1SC6.

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LETTRES A M. rANIZZl

LXXII

Cannes, 22 février 18GG.

Mon cher Panizzi,

Je viens de lire le compte rendu de la séance de la Chambre des communes, où s'est décidée la suspension de Yhabeas corpus. Je n'ai pas' été très content du discours de M. de Gladstone, ni de la discussion en général. Il est évident que personne n'a dit la vérité, et cependant tout le monde a l'air d'être bien convaincu du danger. Si j'avais été lord O'ûonoghue (et par paren­thèse, pourquoi dit-on « the 0' Donoghue » et non « monsieur » ?), j'aurais mis en opposition la gra-' vite de la mesure demandée et les misérables petits faits cités par le ministre. Sir G. Grey dit qu'on a trouvé une liste de trois cents con­spirateurs, qui possédaient quatre sabres et un revolver, etc. Mais c'est la beauté du régime parlementaire, que personne n'y dit la vérité. Tout est fiction, et pourtant on se comprend, en parlant cette langue mystérieuse, que les

LETTRES A M. PANIZZt 175.

initiés pratiquent, je ne sais trop pourquoi.

Ce qui se passe en Irlande devrait éclairer un peu les Anglais et les Français, qui admirent leurs institutions, sur les difficultés du gouver­nement de France. Nous avons nos fenians cent fois plus dangereux et plus nombreux, qu'ils ne le sont en Irlande. Donnez à ces gens-là les libertés qu'ils réclament et que M. Thiers dit être nécessaires à tous les peuples, vous aurez en trois mois une révolution. Le plus \ grand malheur qui puisse arriver à un peuple \ est, je crois, d'avoir des institutions plus^avair^/ cées que son intelligence, s Lorsqu'on demande pour la France les institutions des Anglais, il faudrait pouvoir leur donner d'abord le bon sens et l'expérience qui les rendent praticables.

Adieu, mon cher PanizzT. Soignez-vous tou­jours et continuez à vivre vertueusement, puisque c ela vous réussit. Je me trouve assez bien malgré un gros rhume, et je suis beaucoup mieux que l'année dernière.

170 LETTRES A M. TANIZZ1

LXXIII

Cannes, 2 mars 1806.

Mon cher Punizzi,

Je viens de lire, dans le Times qui nous esî arrivé hier, que lord Russell avait résigné et désigné à la reine lord Somerset pour faire lire cabinet. Est-ce chose certaine? Je né crois pas que lord Somerset ait la réputation qu'il faut, je ne dis pas le talent, pour porter une si. lourde charge. Nos journaux ne nous ont encore rieu dit de cette nouvelle, que le Times donne comme positive.

Thiers me paraît avoir fuit un fiasco l'autre jour au Corps législatif. J'admire la rare impudence d'un homme qui a été ministre de l'intérieur, et qui a fait des élections, venant dire à la tribune que le gouvernement ne devait pas avoir de can­didats. La mauvaise foi de ces messieurs est vrai­ment prodigieuse. Au reste, il me semble qu'il sera bientôt temps de lui dire : Solve, senescen-

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tem, et, s'il continue à prendre pour le monde le salon de la rue Saint-Georges, il finira par quelque grosse catastrophe peu agréable pour, son amour-> propre.



Nous avons ici Du Sommerard depuis quel­ques jours; mais le temps, qui avait été jusqu'a­lors admirable, s'est mis à la pluie, ce qui est très pénible pour nous autres ciceroni. Nous sommes comme des maîtres de maison dont le rôti a brûlé et qui n'ont pas de pièce de résis­tance pour le remplacer.

Nous sommes invités à assister à des private theatricals chez mistress Brougham, la semaine prochaine. Je crois que nous nous en dispense­rons. Milord ressemble au ghost de Guy Fawkes, avec son grand chapeau blanc et son incroyable cravate.

Du Sommerard me parle d'une sorte de ti­sane de Champagne non mousseuse, qu'il dit excellente.. A mon retour, après avoir vérifié le fait, je vous rendrai compte candidement du mérité de ce liquide qui pourrait varier, en blanc, le vin des Riceys et vous aider' à poursuivre

votre régime de tempérance.

n. ,12

178 LETTRES A M. PANIZZI

Donnez-moi des nouvelles de la crise ministé­rielle, qui me préoccupe. Dites-moi si M. Glads­tone entrera dans le nouveau cabinet. Je crois qu'il vaudrait mieux pour lui qu'il restât sous sa tente quelques mois, pour entrer par une porte ouverte à deux battants.

Adieu, mon cher Panizzi ; je vous souhaite santé et prospérité.

LXXIV

Cannes, 16 mars 186C.

Mon cher Panizzi,

J'ai remis votre lettre à Cousin. La visite de Du Sommerard m'a empêché de vous écrire, parce que j'ai toujours été par voies et par che­mins avec lui. Nous avons mangé des non-nats (pisces non-natï), qui sont absolument aussi bons que le white bait, et des pois verts frais. J'espère que, malgré vos principes modernes de dédain pour les affaires culinaires, vous éprouverez quel­que regret de ne pas être dans un pays où se mangent ces sortes de choses, et où l'on porte

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des parapluies blancs pour se préserver du soleil.

Le diable m'emporte, si je comprends rien au nouveau Reform Bill. Il me semble qu'il a surpris tout le monde. Dans un pays où la corruption électorale est florissante, je crois que l'article qui accorde la franchise aux dépositaires d'une caisse d'épargne, donnera de grandes facilités aux gens riches pour entrer au Parlement. Cette dé­plorable idée du suffrage universel fait le tour du monde et le bouleversera sans doute.

Je suis encore ici grâce à la lenteur avec la­quelle on discute l'adresse au Corps législatif. Thiers a fait un fiasco éclatant. Il est comme les émigrés de "notre jeunesse, qui rapportaient des idées arriérées d'un demi-siècle. Aujourd'hui que les idées vieillissent beaucoup plus vite qu'autre­fois, celles de Thiers sont vraiment à mettre dans un musée archéologique. Il a, de plus, le tort de parler de ce qu'il ne sait pas. Lui qui n'a jamais planté un chou, quel besoin avait-il de faire une tartine sur l'agriculture?

Parmi les agréments de Cannes, j'aurais dû, avant tout, vous parler de Jennj' Lind, avec qui j'ai dîné l'autre jour et qui a chanté, sinon avec

180 LETTRES A M. l'ANIZZI

sa voix d'autrefois, du moins avec un filet déli­cieux. Elle est très bonne femme et n'a pas le vice que Horace reproche aux chanteurs :

Ut nunquam indicant animum cantare rogati.

Elle va donner ici un grand concert pour les ma­lades de l'hôpital. Le mal, c'est qu'il n'y a pas de malades ; dans ce pays-ci, tout le monde se porte bien.

Aurez-vous, j'allais dire aurons-nous, cette an­née du bœuf salé? Il paraît qu'en France les charcutiers sont ruinés et que personne ne veut plus manger de jambon. Assurément, Moïse avait prévu les try chines. On ne rend jamais assez justice aux grands philosophes. Vous êtes proba­blement un trop grand et gros philosophe, pour avoir lu le discours de Guizot à l'Académie, en faveur de notre saint-père le pape. Il se considère comme le pape des protestants et est aimable pour un confrère.

Adieu, mon cher Panizzi. Savez-vous que je pense fort à acheter une maison ici? Le diable, c'est qu'elle coûte cher.

LETTRES A M.

PANIZZI

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LXXV

Cannes, 2 avril 1866.

Mon-cher Panizzi,

Je ne vous ai pas écrit, vous croyant tout oc­
cupé de vos Pâques, de peur de vous troubler
dans vos exercices religieux ! Je pars pour Paris
à la fin de la semaine, fort ennuyé de quitter ce
pays-ci, au mqment où il est le plus beau. Ajou­
tez à cela que je ne me porte pas trop bien et
que, depuis plusieurs jours, je suis plus poussif
que jamais. 1

Tout le monde devient-il'fou? C'est ce que je me demande souvent en lisant les journaux; et je parle ici des gens que je suis habitué à con­sidérer comme possesseurs de la plus haute dose de raison qui ait été accordées à la nature hu­maine. Cette affaire du Rcform Bill chez vous me semble de plus en plus incompréhensible et je suis désolé que M. Gladstone y ait mis les mains. Que cela réussisse cette fois ou.non, je ne crois pas que le vieux prestige dé l'Angleterre survive

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à cetle épreuve. Elle est comme un vieux bâti­ment encore très solide, mais qui menace de s'écrouler dès qu'on y fait des réparations mala­droites. Ce qui me frappe surtout, c'est l'impré­voyance ou plutôt l'insouciance de l'avenir de la part de vos hommes d'État. C'est tout à fuit la furia francese, qui cherche en tout la satisfaction du moment. Vous paraissez croire que le minis­tère se trouvera en minorité; mais on dit qu'il fera une dissolution dans l'espoir que les élections faites sous la pression démocratique lui seront favorables. A. en juger par le ton du Times, qui semble désespéré, je serais tenté de croire que, dans ce parlement même, la majorité est fort in­certaine et que les ministres actuels ont d'assez grandes chances de succès. Vous me parlez de lord Stanley comme premier probable, et en même temps de M. Lowe comme devant occuper une place importante dans un nouveau cabinet. Ce serait donc un ministère de coalition, c'est-à-dire quelque chose de peu solide que vous prévoyez. Il n'y a malheureusement rien de solide à prévoir par le temps qui court. Écrivez-moi, je vous prie, des nouvelles, je dis de celles qu'on ne

LETTRES A M. PANIZZI 183

lit pas dans les journaux, à Paris, bien entendu.

Supposé, ce dont je doute encore, que les Allemands s'entre-coupent la gorge, l'Italie s'al-liera-t-elle à la Prusse? Je crois que, dans l'état de ses finances, elle aurait tort, du moins en ce moment, et que, avant de secouer l'arbre, elle ferait bien de laisser le fruit mûrir encore. Si la Prusse avait l'avantage au commencement de la guerre, il serait possible que l'Autricbe vendît la Yénétie pas trop cher, assurément meilleur marché qu'en guerre, sans parler de ce que le radicalisme gagnerait à l'affaire et des sottises qu'il imaginerait. Quant à nous, j'espère que nous demeurerons juges du camp, applaudissant à qui frappera le plus fort.

Mon honorable tailleur M. Poole est en querelle avec ses ouvriers ; comment aurai-je mes habits maintenant? N'admirez-vous pas, avec effroi, l'or­ganisation de ces sociétés ouvrières, qui se don­nent la main d'un bout de l'Europe à l'autre? Et le moment est-il bien choisi pour leur faire la courte échelle et leur livrer nos remparts?

Adieu, mon cher Panizzi; portez-vous bien et rappelez-moi au souvenir de tous3 nos amis.

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LETTRES A M. PANIZZl

LXXYI

Paris, 15 avril 18GG.

Mon cher Panizzi,

J'ai lu clans le Times les discours des princi­paux orateurs dans la discussion sur le bill de ré­forme et je vous avouerai que celui de M. Glads­tone ne m'a pas trop plu, à part mon peu de goût pour la réforme elle-même. Il est aigre et souvent à côté de la question. Le discours de lord Stan­ley me semble,, au contraire, très habile et tout à fait Slatesmanlike. Voilà mes impressions im­partiales. Après cela, je pense qu'en Angleterre comme en France, ce n'est pas l'éloquence et l'habileté oratoire, qui décident les questions. Chaque membre arrive avec sa résolution prise, et vraisemblablement par suite de considérations toutes personnelles.

Je vous ai parlé, je crois, d'une maison que j'a­vais quelque velléité d'acheter à Cannes. L'affaire n'a pas eu de suite. Elle coûtait très bon marché, pour le pays, quoique assez cher pour ma

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bourse ; mais le grand inconvénient, c'est qu'elle était trop grande pour moi. Il aurait fallu en louer un étage et me constituer maître d'hôtel, métier qui ne me plaît guère. Il y a trois étages dans deux desquels j'aurais pu nons_ loger, ces dames et vous compris, fort à l'aise ; mais que faire du reste ? Et pourquoi se donner l'embarras de la propriété dans un temps comme celui-ci?

Les affaires d'Allemagne continuent à préoc­cuper extrêmement les gens d'affaires, qui ont des peurs abominables. Personne ne sait ce que pense le maître,,m de quel côté il incline. L'opi­nion ici est plutôt pour une alliance avec l'Au­triche, mais surtout pour la neutralité la plus complète. Cela est plus facile à conseiller qu'à exécuter, s'il y a guerre; car le résultat infaillible sera une révolution en Allemagne et un remanie­ment de la carte. Il y a tant à craindre, et pour tout le monde, que je doute encore qu'on en vienne aux coups de canon.

J'ai dîné l'autre jour aux Tuileries en- tout petit comité. L'empereur m'a demandé de vos nouvelles et quand vous redeviendriez un homme libre. J'ai trouvé le prince grandi et un peu mai-

18C LETTRES A M. PANIZZI

gri, devenu peut-être trop raisonnable et trop prince pour son âge. L'impératrice est en grande beauté et de très bonne humeur. Mademoiselle Bouvet se marie à un homme fort riche. Ses clavicules sont parfaitement rarrangées et fort belles toutes les deux.

Avez-vous jamais lu un livre intitulé Baber's Memoir's, traduit du turc par Erskine, in-quarto? On.dit que cela est devenu rare. Je voudrais bien l'avoir. C'est un admirable tableau de l'Orient aux xve et xvi° siècles, et la biographie d'un homme très extraordinaire.

Adieu, mon'cher Panizzi; portez-vous bien, et soignez-vous.

LXXVI1

Paris, 2G avril 1800.

Mon cher Panizzi,

J'ai promené l'autre jour la comtesse *** au musée de Cluny et ailleurs. Elle vous aura dé­crit le diable, que Du Sommerard lui a montré et qui vient d'Italie, où probablement il avait été fabriqué pour quelque dessein édifiant.

LETTRES A M. PANIZZ1 187

Mon médecin, le docteur Robin, revient d'Ita­lie, où il a eu l'honneur d'être présenté à Sa Sain­teté. Il m'a rapporté ce petit fait assez curieux. Le cardinal Antonelli.a un cabinetminéralogique dont il est très fier et qu'il a montré à Robin, qui est un grand savant. Les pierres ne sont pas clas­sées et ne valent rien. Ce n'est qu'un prétexte pour avoir une petite tablette, où il y a pour en­viron trois millions en diamants, rubis, etc. Rien de plus aisé que d'en mettre le contenu dans sa poche, et d'aller planter ses choux loin de Rome, si jamais les mauvais principes triomphaient.

Le docteur a laissé Padoue rempli de troupes autrichiennes et toutes les maisons de campagne aux environs, occupées militairement ; tout, d'ail­leurs, est fort tranquille. On lui a dit partout qu'on laisserait le pape et Rome pourrir en paix. Voilà aussi la paix en Allemagne, comme on de­vait s'y attendre de gens qui se sont engueulés si bruyamment. Ce tapage est toujours signe qu'on n'a pas d'intentions trop belliqueuses. Pour moi, je persiste à croire que, même dans l'hypothèse d'une guerre entre la Prusse et l'Autriche, il vaudrait mieux pour l'Italie qu'elle se tînt tranquille.

188 LETTRES A M. PANIZZI

Je ne sais si je vous ai dit que j'allais avoir une-grande bataille à livrer au Sénat contre M. Rouher et M. de Vuitry, à l'occasion d'une loi sur les in­struments de musique mécaniques. Cette loi, tout en ayant l'air de ne traiter que des orgues de-Barbarie, touche cependant à la propriété litté­raire artistique, et, si elle passait, ce serait con- ' sacrer le principe, que les jurisconsultes veulent établir : à savoir, que la propriété littéraire n'est pas une propriété, mais bien une concession. Vous ne doutez pas que "je prenne la défense des-. lettres et des arts; niais j'ai bien peur d'être battu, car j'aurai tous les procureurs du Sénat après moi. Je pense que le combat aura lieu mardi. Je passe mon temps à faire des discours. J'en suis à mon quatrième. Tout cela dans ma cham­bre, bien entendu. Je ne veux pas lire, mais im­proviser par les procédés connus de M. Thiers et de M. Guizot. Vous me lirez dans le Moniteur et me direz si je n'ai pas été trop bêle.

Je suis allé lundi aux Tuileries. Il y avait quan­tité de très belles personnes, entre autres ma­dame de Mercy d'Argenleau, qui est une beauté d'un genre olympique.

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Adieu, mon cher Panizzi ; portez-vous bien et recommandez-vous à votre saint patron.

LXXVIII

Paris, le 4 mai 1860.

Mon cher Panizzi,

Vous aurez lu probablement le discours de M. Thiers. Comme discours d'opposition, il est fort habile, mais c'est assurément ce qu'il y a de plus antipalriotique. Il dit aux Allemands qu'ils n'ont qu'un ennemi, et que cet ennemi est l'empereur. La Chambre, qui aime les soli exécutés par un ' grand artiste, a écouté avec beaucoup de faveur, mais sans comprendre qu'il y avait du poison sous les fleurs de rhétorique. Après la séance, madame de Seebach, là fille de Nèsselrode et la femme du ministre de Saxe, a emmené M. Thiers dans sa voiture. -

Je crois savoir que l'empereur a dit à M. de Metternich, qu'il n'avait absolument aucun enga­gement avec personne, et qu'il n'avait qu'un même conseil à donner à tout le monde : la paix.

190 LETTRES A M. PANIZZI

Je ne crois pas beaucoup à la promesse de l'Italie de ne pas attaquer; car il y a telle circonstance qui peut arriver, où une attaque n'est qu'une défense; mais je crains que les Allemands ne combattent que de gueule et que l'Italie n'ait à porter l'effort de la bataille.

Notre affaire des « serinettes » n'est pas encore venue. Je crois que la discussion aura lieu mardi et que je serai battu, tout en ayant raison.

On parle fort de faire duc M. Walewski, pro­bablement parce qu'il s'est, montré fort au-des­sous de sa tâche pendant la session. Autre can­can : on dit Sa Majesté fort enthousiaste de la beauté de madame de "*, très grande et très belle personne. Elle a dîné, il y a eu lundi huit jours, chez le duc de Mouchy, et Sa Majesté est venue. Je la trouve fort belle, mais trop grande et trop forte pour moi. Mes principes sont de ne jamais essayer de violer une femme qui pour­rait me battre. Si vous ne pratiquez pas cet axiome, vous avez tort.

Adieu, mon cher Panizzi. Portez-vous bien et ne vous exterminez pas pour vos ministres.

LETTRES A M. PAN1ZZI


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