L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme


La notion de Beruf chez Luther. Objectifs de la recherche



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3. La notion de Beruf chez Luther.
Objectifs de la recherche.



(retour à la table des matières)

[63] Il paraît désormais évident que le mot allemand Beruf, et peut-être plus clairement encore, le mot anglais calling, suggère déjà, à tout le moins, une connotation religieuse - celle d'une tâche imposée par Dieu. Connotation qui nous sera d'autant plus sensible que nous aurons mis l'accent sur Beruf dans un contexte concret. Si nous faisons l'historique de ce mot à travers les langues de civilisation, nous constatons d'abord que, chez les peuples où prédomine le catholicisme - il en va de même pour ceux de l'antiquité classique - aucun vocable de nuance analogue n'existe pour désigner ce que nous, Allemands, appelons Beruf (au sens d'une tâche de l'existence [Lebensstellung], d'un travail défini) 1, [64] alors qu'il en existe un chez tous les peuples où le protestantisme est prépondérant. On s'aperçoit en outre qu'il ne s'agit pas là d'une quelconque particularité ethnique [65] de la langue étudiée, que ce n'est nullement, par exemple, l'expression d'un « esprit germanique ». Dans son acception actuelle, ce mot provient des traductions de la Bible; plus précisément, il reflète l'esprit du traducteur et non celui de l'original 1. Il semble avoir été employé pour la première fois, avec le sens qu'il a de nos jours, dans la traduction de Luther, au livre de Jésus ben Sira, l'Ecclésiastique (XI, 20-21) 2. Dès lors, [66] cette signification est passée très vite dans le langage profane de tous les peuples protestants, alors qu'auparavant [671 on ne trouvait nulle part l'amorce d'un sens analogue, ni dans leur littérature profane, ni chez leurs prédicateurs [68] - à l'exception toutefois, autant que j'ai pu m'en assurer, d'un mystique allemand dont l'influence sur Luther est bien connue.

[69] Ce nouveau sens du mot correspond à une idée nouvelle, il est un produit de la Réforme. Ce fait est généralement admis. Sans doute voyons-nous apparaître dès le Moyen Age, et même à l'époque hellénistique tardive, les premiers éléments d'une telle évaluation positive de l'activité quotidienne. Nous en parlerons plus tard. Mais estimer que le devoir s'accomplit dans les affaires temporelles, qu'il constitue l'activité morale la plus haute que l'homme puisse s'assigner ici-bas - voilà sans conteste le fait absolument nouveau. Inélucta­blement, l'activité quotidienne revêtait ainsi une signification religieuse, d'où ce sens [de vocation] que prend la notion de Beruf. Celle-ci est l'expression du dogme, commun à toutes les sectes protestantes, qui rejette la discrimination catholique des commandements moraux en praecepta et consilia. L'unique moyen de vivre d'une manière agréable à Dieu n'est pas de dépasser la morale de la vie séculière par l'ascèse monastique, mais exclusivement d'accomplir dans le monde les devoirs correspondant à la place que l'existence assigne à l'individu dans la société [Lebensstellung], devoirs qui deviennent ainsi sa « vocation » [Beruf].

Cette idée se développe chez Luther 1 au cours de la première décennie de son activité de réformateur. Au début, (70] en complet accord avec la tradition médiévale prédominante, telle que saint Thomas par exemple peut la représenter 1, il pense que la tâche séculière, bien que voulue par Dieu, est de l'ordre de la créature. C'est le fondement indispensable, naturel, de la vie dans la foi, moralement neutre en soi comme le boire ou le manger 2. Mais [71] le métier [Beruf] prendra pour Luther de plus en plus d'importance à mesure qu'il approfondira l'idée de la sola fides et qu'il en tirera les conséquences logiques, soulignant avec toujours plus d'âpreté son opposition aux « conseils évangéliques » du monachisme, suivant lui « dictés par le démon». Non seulement la vie monastique est à ses yeux entièrement dépourvue de valeur en tant que moyen de se justifier devant Dieu, mais encore elle soustrait l'homme aux devoirs de ce monde et apparaît ainsi à Luther comme le produit de l'égoïsme et de la sécheresse du cœur. À l'opposé, l'accomplissement dans le monde de la besogne professionnelle est pour lui l'expression extérieure de l'amour du prochain, ce qu'il justifie par cette observation que la division du travail contraint chaque individu à travailler pour les autres. L'extrême naïveté de ce point de vue contraste d'une manière presque caricaturale avec les propositions bien connues d'Adam Smith 1 sur le même sujet. Mais cette justifica­tion, on le voit essentiellement scolastique, disparaîtra elle-même bientôt; elle fera place à l'affirmation, répétée avec une énergie croissante, qu'en toutes circonstances l'accomplisse­ment des devoirs temporels est la seule manière de vivre qui plaise à Dieu. L'accom­plis­sement de ces devoirs, et lui seul, est la volonté de Dieu, et par conséquent tous les métiers licites ont absolument même valeur devant Dieu 2.



[72] Que cette justification morale de l'activité temporelle ait été un des résultats les plus importants de la Réforme, de l'action de Luther en particulier, cela est absolument hors de doute et peut même être considéré comme un lieu commun 1. Combien cette conception est éloignée de l'état d'âme [Stimmung] contemplatif d'un Pascal, avec sa haine profonde pour toute activité mondaine, à laquelle il déniait la moindre valeur et qui, il en était intimement convaincu, n'est que ruse et vanité 2. Elle est encore plus éloignée de l'adaptation au monde, libérale et utilitaire, accomplie par le probabilisme des Jésuites. Mais comment se représenter en ses détails la signification pratique de cet aboutissement du protestantisme? D'ordinaire la chose est bien plus obscurément sentie que clairement perçue.
Tout d'abord - est-il besoin de le souligner ? - l' «esprit du capitalisme » ne peut se réclamer de Luther, tant au sens que nous avons jusqu'à présent attaché à cette expression qu'à quelque autre sens que ce soit. Les cercles religieux qui célèbrent aujourd'hui avec le plus d'ardeur le grand « événement » [Tat] qu'a été la Réforme, ne sont en aucune façon des amis du capitalisme. Luther lui-même aurait brutalement repoussé tout rapport de parenté avec, disons, la façon de penser d'un Franklin. Ajoutons que ses récriminations contre les grands marchands de son temps, tels les Fugger 1 et leurs semblables, ne sauraient évidemment être prises pour un indice de quoi que ce soit : lutter, [73] aux XVIe et XVIIe siècles, contre les privilèges, en droit et en fait, des grandes compagnies commerciales serait en effet plutôt comparable aux campagnes menées de nos jours contre les trusts et, pas plus que ces dernières, ne peut être considéré comme l'expression d'un point de vue traditio­naliste. Contre ces gens-là, lombards, « trapézites », monopolistes, gros spéculateurs et banquiers favorisés par l'Église anglicane d'une part, rois et parlements d'Angleterre et de France de l'autre, puritains et huguenots menèrent une lutte acharnée 1. Après la bataille de Dunbar (sept. 1650), Cromwell écrivait au Long Parlement : « Daignez réformer les abus de toutes les professions; que s'il s'en trouve une qui fasse beaucoup de pauvres pour un petit nombre de riches, cela ne sert point la chose publique. » Ailleurs en revanche, on le trouvera animé d'un état d'esprit spécifiquement « capitaliste » 2. D'un autre côté, [74] dans nombre de déclarations contre l'usure et l'intérêt en général, Luther exprime sans équivoque, sur la nature de l'acquisition capitaliste, des vues qui, comparées à celles de la scolastique finissante, sont, d'un point de vue capitaliste, franchement « arriérées » 3. Parmi celles-ci, naturellement, l'argument sur la stérilité de l'argent, déjà réfuté par saint Antonin de Florence.
Cependant il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails. En ce sens surtout que les implications, pour la conduite en ce monde, de l'idée de vocation [Beruf] au sens religieux étaient de nature à recevoir des interprétations fort différentes. Le tout premier résultat de la Réforme fut - par contraste avec les conceptions catholiques - d'accroître considérablement les récompenses [Prämien] d'ordre religieux que procurait au fidèle son travail quotidien, accompli dans le cadre d'une profession, et d'en faire un objet de morale. L'évolution de l'idée de vocation [Beruf] où s'exprimait ce changement a désormais dépendu de l'évolution religieuse des diverses Églises réformées. L'autorité de la Bible, d'où Luther avait cru tirer cette idée de profession, favorisait dans l'ensemble une interprétation traditionaliste. Ignorant dans les prophéties proprement dites la tendance à dépasser la moralité de ce monde, n'en présentant en d'autres endroits que des rudiments, des amorces, l'Ancien Testament en particulier avait élaboré une idée religieuse similaire, mais strictement traditionaliste. Que chacun soit à son gagne-pain [Nahrung] et laisse les impies courir après le gain : tel est le sens de tous les passages qui traitent directement des occupations [Hantierung] de ce monde. Il faut attendre le Talmud pour rencontrer une position sinon fondamentalement, du moins partiellement différente. L'attitude personnelle de jésus se manifeste, dans sa pureté classique, par la prière caractéristique de l'Orient ancien : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » Et le refus radical du monde qui s'exprime dans le [...] excluait [75] que l'idée moderne de besogne se réclame directement de lui 1. Au temps des apôtres, dans le Nouveau Testament et spécialement chez saint Paul, les premières générations chrétiennes sont toutes remplies de l'attente eschatologique, et considèrent l'activité professionnelle avec indifférence ou même d'une façon qui est au fond traditionaliste : puisque toutes choses attendent la venue du Seigneur, que chacun reste donc dans l'état et l'occupation mondaine où l'appel [Ruf] du Seigneur l'a trouvé, et qu'il travaille comme auparavant : ainsi il ne tombera pas à la charge de ses frères - du reste il n'y en a plus pour longtemps. Luther lisait la Bible avec les lunettes propres à son état d'esprit [Gesamtstimmung] et, de 1518 à 1530 environ, celui-ci évolua dans un sens de plus en plus traditionaliste 2.

Étant donné qu'il pensait que le métier est de l'ordre de la créature, une conception très proche de l'indifférence eschatologique de saint Paul prédominait chez Luther dans les premières années de son action de réformateur, en ce qui concerne les modes de l'activité en ce monde. Indifférence que saint Paul avait exprimée dans I Cor. VII 1 : [76] chacun peut faire son salut dans l'état où il se trouve placé; durant le si bref pèlerinage de la vie, il serait absurde d'attacher de l'importance au mode d'occupation. La poursuite d'un gain matériel qui dépasse les besoins propres n'est donc que le signe de l'absence de grâce divine, et comme ce gain ne semble possible qu'aux dépens d'autrui, il est à rejeter absolument 2. Mais plus Luther se trouva mêlé aux affaires du monde, plus il mit l'accent sur la signification du travail professionnel. Ce qui l'amena à considérer de plus en plus ce dernier comme un ordre spécial de Dieu à l'individu de remplir la charge concrète assignée par la Providence. A la suite de ses luttes contre les illuministes [Schwarmgeister] et les agitations paysannes, l'ordre historique objectif dans lequel l'individu a été placé par Dieu devient de plus en plus, aux yeux de Luther, une manifestation directe de la volonté divine 3. L'accent mis avec une force accrue sur l'élément providentiel, jusque dans les événements particuliers de la vie, le conduira désormais de plus en plus à une interprétation traditionaliste reposant sur l'idée de décret de la Providence [Schickung]. L'individu doit rester délibérément dans l'état et la profession où Dieu l'a placé et maintenir ses aspirations terrestres dans les limites que cette situation lui impose. Si le traditionalisme économique était au début le résultat de l'indiffé­rence paulinienne, il devient plus tard l'expression de la croyance toujours plus intense en la divine Providence 4 1771, cette croyance qui identifie l'obéissance incondition­née à Dieu et la soumission inconditionnée à la situation donnée 1. A partir de quoi, Luther a radicalement échoué dans l'établissement d'un lien nouveau ou, pour le moins, d'un lien reposant sur des principes fondamentaux, entre occupations professionnelles et principes religieux 2. La pureté de la doctrine, telle qu'elle s'imposera à lui de façon inébranlable après les luttes des années 1520, en tant que critère unique et infaillible de l'Église, suffira déjà en soi a empêcher le développement de points de vue nouveaux dans le domaine éthique.


Ainsi, pour Luther, la notion de Beruf demeurait-elle traditionaliste 3. L'homme est tenu d'accepter sa besogne comme lui étant donnée par décret divin [78] et il doit s'en accom­moder [schicken]. Nuance qui l'emportait sur cette autre idée, que l'activité professionnelle est une tâche, mieux encore, la tâche assignée par Dieu à l'homme 4. Le luthéranisme orthodoxe, en se développant, a encore accentué ce trait. Le seul résultat éthique immédiat fut donc quelque chose de négatif : on supprimait bien la subordination des tâches séculières aux tâches ascétiques, mais on prêchait en même temps l'obéissance aux supérieurs et la soumission aux conditions d'existence données [Schickung] que la Providence a faites à chaque homme une fois pour toutes 1. Nous verrons, en discutant de l'éthique religieuse du Moyen Age, que cette conception luthérienne de la besogne quotidienne avait été déjà largement préparée par les mystiques allemands. Rappelons seulement l'équivalence que Tauler établissait, en leur principe, entre les besognes spirituelles et les besognes profanes et le peu d'estime où il tenait, comme oeuvres mémoires, les formes ascétiques traditionnelles 2; ce point de vue découlait pour lui de l'importance décisive accordée dans son système à la prise de possession du divin par 1791 l'âme dans la contemplation et l'extase, En un certain sens, le luthéranisme marque même un recul, cela dans la mesure où chez Luther - et plus encore, dans son Église - les fondements psychologiques d'une éthique rationnelle de la profession sont devenus assez incertains, par comparaison avec les mystiques. (Sur ce point, les conceptions de ceux-ci ne sont pas sans rappeler en partie celles des piétistes et, en partie aussi, celles de quakers) 3. Il en est ainsi précisément - nous aurons encore à le montrer - parce que la tendance à la discipline ascétique était, aux yeux de Luther, suspecte de constituer une sanctification par les œuvres, ce qui l'entraîna, et son Église avec lui, à repousser cette idée de plus en plus à l'arrière-plan.

Ainsi, autant que nous avons pu nous en rendre compte jusqu'à présent, la simple notion de Beruf au sens luthérien est tout au plus d'une portée problématique pour notre recherche : c'était tout ce que nous avions à déterminer ici 4. Ce qui ne veut pas dire que la forme luthérienne de la réorganisation de la vie religieuse soit sans signification pratique pour l'objet de notre étude. Bien au contraire. Il est toutefois évident que la portée qu'elle peut avoir ne découle pas directement de l'attitude de Luther et de son Église à l'égard de l'activité temporelle et qu'elle n'est peut-être pas aussi facile à saisir en général que dans d'autres expressions du protestantisme. Il semble donc qu'il soit préférable de considérer en premier lieu les formes de protestantisme où la relation entre vie pratique et spiritualité sont plus faciles à cerner que dans le luthéranisme. Nous avons déjà fait état du rôle qu'ont joué et le calvinisme et les sectes protestantes dans le développement du capitalisme. Aux rapports de Luther avec un Zwingli, animé d'un « esprit différent » du sien, répondent les rapports que ses successeurs spirituels entretinrent avec le calvinisme. Puis le catholicisme a toujours, et jusque dans le présent, considéré le calvinisme comme l'adversaire véritable.


Sans doute cela peut-il tout d'abord s'expliquer par des raisons purement politiques. La Réforme demeure inconcevable sans l'évolution religieuse de Luther; elle a été pour long­temps marquée [80] par la personnalité de ce dernier. Toutefois son oeuvre n'aurait pas duré extérieurement sans le calvinisme. Mais la raison de l'horreur que le calvinisme inspire à la fois aux catholiques et aux luthériens se trouve aussi fondée sur ses particularités éthiques. Au premier coup d’œil, on discerne déjà que les rapports qu'il établit entre la vie religieuse et l'activité terrestre diffèrent grandement de ceux qui existent dans le catholicisme ou le luthéranisme. On le constate jusque dans la sorte de littérature qu'animent exclusive­ment des motifs religieux. Prenons, par exemple, la fin de la Divine Comédie, là où le poète, au Paradis, reste muet dans la contemplation passive des secrets de Dieu, et comparons-la avec la fin de cet autre poème que l'on a coutume d'appeler la « Divine Comédie du puritanisme ». Après avoir décrit l'expulsion du paradis terrestre, Milton termine ainsi le dernier chant du Paradis perdu.
They, looking back, all the eastern side been

Of paradise, so late their happy seat,

Waved over by that flaming brand; the gate

With dreadful faces thronged and fiery arms.

Some natural tears they dropped, but wiped them soon :

The world was all before them, there to choose

Their place of rest, and Providence their guide.

They, hand in hand, with wandering steps and slow,

Through Eden took their solitary way.
Quelques vers plus haut, l'archange saint Michel s'était adressé à Adam en ces termes -
[...] Only add

Deeds to thy knowledge answerable; add faith;

Add virtue, patience, temperance; add love,

By name to come called Charity, the soul

Of all the rest : then wilt thou not be loth

To leave this Paradise, but shall possess

A Paradise within thee, happier far.

On sent immédiatement que cette puissante expression de l'attention sérieuse que le puritain dirige sur le monde, cette valorisation [Wertung] de la vie d'ici-bas considérée comme une tâche à accomplir, aurait été impossible sous la plume d'un auteur médiéval. Mais elle n'aurait pas été moins étrangère au luthéranisme, tel que celui-ci s'exprime par exemple dans les chorals de Luther et de Paul Gerhardt. A ce sentiment vague, nous aurons à substituer une formulation logique plus précise [81] et à rendre raison de cette différence. Invoquer le « caractère national » serait non seulement confesser purement et simplement son ignorance; dans le cas présent, ce serait en outre totalement insoutenable. Attribuer un « caractère national » unique aux Anglais du XVIIe siècle serait historiquement faux. Cavaliers et Têtes rondes ne se considéraient pas simplement comme deux partis, mais comme deux espèces d'hommes radicalement distinctes, et quiconque observe soigneusement les faits est bien obligé de leur donner raison 1. D'autre part, on ne trouve pas de différences de caractère entre les merchants adventurers anglais et les anciens marchands hanséatiques, pas plus qu'on ne constate à la fin du Moyen Age d'écart profond entre les caractères anglais et allemand qui ne puisse s'expliquer par la simple divergence de leurs destinées politiques 2. C'est l'emprise des mouvements religieux - non pas uniquement, mais en premier lieu - qui est à l'origine de ces différences que nous percevons aujourd'hui 3.

Par conséquent, si, dans nos recherches sur les rapports entre l'éthique des vieux protestants et le développement de l'esprit capitaliste, nous partons des créations de Calvin, du calvinisme et des autres sectes puritaines, il ne faut pas en déduire pour autant que nous nous attendons à rencontrer chez l'un des fondateurs ou des représentants de ces mouvements religieux, comme but de l'effort de sa vie, l'éveil de ce que nous appelons « esprit capita­liste », et cela en quelque sens que ce soit. Nous ne croyons certes pas que la recherche des biens de ce monde, conçue comme une fin en elle-même, [82] ait jamais revêtu une valeur éthique pour aucun d'entre eux. Disons-le une fois pour toutes : pour aucun des réformateurs - et parmi ceux-ci nous rangerons pour notre propos un Menno, un Fox, un Wesley - les programmes de réforme morale n'ont jamais constitué la préoccupation dominante. Ces hommes ne furent à aucun degré des fondateurs de sociétés pour la « culture morale », les représentants de réformes sociales humanitaires ou d'idéaux culturels. Le salut des âmes - et lui seul - tel fut le pivot de leur vie, de leur action. Leurs buts éthiques, les manifestations pratiques de leurs doctrines étaient tous ancrés là, et n'étaient que les conséquences de motifs purement religieux. C'est pourquoi nous devons nous attendre à ce que les effets de la Réforme sur la culture, pour une grande part - sinon, de notre point de vue particulier, la part prépondérante - aient été des conséquences imprévues, non voulues, de l'œuvre des réforma­teurs, conséquences souvent fort éloignées de tout ce qu'ils s'étaient proposé d'atteindre, parfois même en contradiction avec cette fin.
Ainsi la présente étude pourrait sans doute contribuer, pour sa modeste part, à faire comprendre de quelle façon les « idées » deviennent des forces historiques efficaces. Pour écarter tout malentendu sur le sens que nous attribuons ici à une telle efficacité de motifs purement idéels, nous nous permettrons d'ajouter quelques remarques pour conclure cet exposé préliminaire.

Disons-le expressément dès l'abord, il ne s'agira nullement de tenter d'évaluer [werten] les idées de la Réforme en un sens politico-social [sozialpolitisch] ou religieux déterminé. Nous avons constamment affaire à des aspects de la Réforme qui risquent d'apparaître comme accessoires, superficiels même, à une conscience authentiquement religieuse. Sim­ple­ment, nous avons entrepris de préciser la part qui revient aux facteurs religieux parmi la complexité des innombrables facteurs [Einzelmotive] historiques ayant contribué au développement de notre civilisation moderne, spécifiquement orientée vers le monde d'ici-bas. La question que nous posons ne vise qu'à déterminer, parmi certains contenus caracté­ristiques de cette civilisation, ceux qu'il convient d'imputer à l'influence de la Réforme comme cause historique. Ce faisant, [831 il faudra nous défaire de l'idée que la Réforme peut se déduire en tant qu'« historiquement nécessaire » à partir de transformations économiques. En fait, d'innombrables circonstances historiques qui ne peuvent s'insérer dans aucune « loi économique », ni recevoir aucune explication de cette espèce -notamment les processus purement politiques -, ont dû concourir au maintien des Églises nouvellement créées.


D'autre part, il est hors de question de soutenir une thèse aussi déraisonnable et doctri­naire 1, qui prétendrait que « l'esprit du capitalisme » (toujours au sens provisoire où nous employons ce terme) ne saurait être que le résultat de certaines influences de la Réforme, jusqu'à affirmer même que le capitalisme en tant que système économique est une création de celle-ci. Le fait que telle ou telle forme importante d'organisation capitaliste soit Considéra­ble­ment plus ancienne que la Réforme en est une réfutation suffisante. Bien au Contraire, notre unique souci consistera à déterminer dans quelle mesure des influences religieuses ont Contribué, qualitativement, à la formation d'un pareil esprit, et, quantitative­ment, à son expansion à travers le monde; à définir en outre quels sont les aspects concrets de la civili­sation capitaliste qui en ont découlé. En face de l'énorme enchevêtrement d'influ­ences réciproques entre bases matérielles, formes d'organisation sociales et politiques, teneur spirituelle des époques de Réforme, force nous est de commencer par rechercher si certaines « affinités électives » sont perceptibles entre les formes de la croyance religieuse et l'éthique professionnelle. En même temps, il nous faudra élucider, dans la mesure du possible, de quelle façon et dans quelle direction le mouvement religieux, par suite de ces affinités électives, a influencé le développement de la civilisation matérielle. Ce n'est que lorsque ce point aura été déterminé avec une précision suffisante que nous pourrons tenter d'évaluer la part des motifs religieux dans les origines de la civilisation et celle qui revient à d'autres éléments.

CHAPITRE DEUXIÈME


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