Maîtrise d'Histoire (1973) michele grenot


H. WALLON SUPPLEE GUIZOT A LA SORBONNE



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H. WALLON SUPPLEE GUIZOT A LA SORBONNE


H. WALLON est à ce moment-là titulaire à l'Ecole Normale et six ans après avoir passé cette fameuse agrégation, il en voit le résultat effectif dans sa carrière. Ainsi, comme nous le dit PERROT :

"H. WALLON était le seul agrégé d'Histoire que le concours de 1840 eut attaché à la Faculté par application de l'ordonnance - au moment où GUIZOT, trop pris par la politique, s'était fait remplacer, et où des désordres avaient forcé son dernier remplaçant, Ch.LENORMAND, à se retirer."

Deux lettres à J.SIMON41 non datées, parlent de cette suppléance de GUIZOT ; son ami est alors maître de conférences à l'Ecole Normale, comme lui, et H. WALLON est content de lui annoncer qu'il espère aussi bientôt devenir son collègue à la Sorbonne ; ces lettres montrent assez la gêne d'H. WALLON : "ses croyances catholiques" risquent toujours "de le rendre suspect", comme il le dit lui-même ; d'autre part, il ne veut pas qu'on le juge uniquement sur son titre d'agrégé (qui en fait par l'ordonnance "un candidat nécessaire et fatal", comme il le dit), mais aussi sur sa valeur personnelle .

D'autre part, nous voyons toutes les précautions qu'H. WALLON est obligé de prendre. Déjà suspect dans le corps universitaire, il ne veut pas avoir l'air "de se jeter sur la place".

Lettre du 23 janvier à M. J. SIMON, maître de conférences, à l'Ecole Normale :



"Mon cher ami,

J'ai suivi très scrupuleusement tes conseils. J'ai vu M. LECLERC lundi et lui ai annoncé ma candidature, qu'il attendait et il a bien compris les raisons de convenance qui ne me permettaient pas de me jeter sur la place. J'ai vu aussi MM. LETRONNE et GUINlAUT, j'ai tenté de voir M .ST MARC GIRARDIN que je n'ai pas rencontré. Enfin, j'ai écrit à M.GUIZOT. Ayant appris par MM. LECLERC et GUIGNIAUT qu'il paraissait assez mécontent du choix un peu restreint qu'on lui laissait, je lui dis que je ne prétends pas m'imposer à lui par privilège et que, s'il se croit gêné dans sa liberté de choisir, je résigne mon droit, ne voulant obtenir cette mission que de la confiance. Cette lettre a été lue et approuvée de M. GUIGNIAUT. Je tiens, en effet, par dessus tout à ne point être un candidat nécessaire et fatal qu'il faut subir. J'y tiens d'autant plus que mes croyances catholiques pourraient quelquefois me rendre suspect à ceux qui ne me connaissent pas. Je veux que toutes ces répugnances puissent se satisfaire sans même les contraindre à s'avouer publiquement.

J'ai cru devoir écrire un mot à M. COUSIN pour lui faire entendre que je ne veux point déserter l'ordonnance de 1840. Me trouvant seul, j'aurais trop l'air de défendre mes propres intérêts en la défendant. J'en fais toujours mon principal titre ; mais si l'on jugeait qu'elle est mon seul titre, si l'on ne me donnait pas confiance, alors je me retire en bonne forme. Dès lors, il n'y a plus d'agrégés sur les rangs, il n'y a plus que des docteurs. On peut choisir sans violer l'ordonnance.

Adieu, mon cher ami, je te remercie de ton zélé pour ma cause. Tu vois que cette dernière démarche, que tu ne m'as pas conseillée, n'en aura pas moins ton approbation. . . "

Une autre lettre montre qu'avant d'obtenir la place, on lui impose une condition : donner sa démission à Rollin ; H. WALLON est ennuyé financièrement une fois de plus. En outre, cette lettre nous apprend la raison du délai entre la réussite à son agrégation et la perspective d'obtenir un poste : le temps que l'agrégation soit admise auprès des universitaires ; lettre du 17 avril :



"Je m'empresse de t'annoncer que je vais être nommé suppléant de M. GUIZOT. M. de SALVANDY m'a fait appeler hier à ce sujet. Il y a mis une condition, c'est que je donne ma démission de l'une de mes deux places : condition un peu dure puisque je quitte un titre définitif pour une éventualité, comme on me le disait en langage de chemin de fer. Entre les deux places, je ne pouvais pas hésiter. Je quitte donc Rollin, quoique j'y trouve plus d'argent et moins de peine. Me voilà donc doublement ton collègue.

Permets-moi de rectifier un mot que tu as dit à M. LECLERC, et qui change de sens en changeant de domicile. Ce n'est pas M. GUIZOT qui m'aurait dit : il faut du temps pour raffermir les principes, mais M. de SALVANDY, qui m'expliquant pourquoi il ne pressait pas M.GUIZOT de se décider, ajouta : le temps est bon à l'affermissement des principes. Il s'agissait, tu le vois, de l'ordonnance de 1840 qu'Il espérait avec le temps maintenir sans effort. Adieu, et mille remerciements pour ton concours affectueux."

Ce problème de suppléance lié à son diplôme d'agrégé, H. WALLON n'est pas le seul à en connaître les vicissitudes. A en juger les lettres d'OZANAM42 : celui-ci a passé l'agrégation pour les Lettres en 1840 et espère obtenir la succession de FAURIEL, deux ans avant H. WALLON celle de GUIZOT : l'ordonnance de COUSIN est cependant mal vue des professeurs qui se voient limités dans leur choix et des élèves qui n'aiment pas être jugés comme des candidats nécessaires. Ils sont solidaires pour défendre leurs droits.

Lettre du 28 juillet 1844 d'OZANAM à sa femme :

"Dans l'Université, les Agrégés qui voient leurs intérêts menacés en ma personne font cause commune ; EGGER est admirable de zèle. J'en dis autant d'H. WALLON."

Et le 31 juillet 43:



"Je ne pense point qu'il y ait moyen de décider l'élection avant les vacances ; M.GUIGNIAUT que WALLON vit hier, est très opposé à cette idée et il importe de ne pas indisposer les gens en leur forçant la main. "

Le 3 août 1844, dans une lettre à M. et Mme SOULACROIX :



"Patience… c'est dans ce sens que parlent mes amis, c'est-à-dire, MM. AMPERE, EGGER, WALLON, qui me secondent avec beaucoup de zèle et mes collègues les agrégés qui font naturellement cause commune avec moi. "

OZANAM distingue parmi le groupe des agrégés ses amis : AMPERE, EGGER, WALLON ; OZANAM et WALLON se voyaient donc et s'appréciaient.

Ces lettres nous renseignent donc sur les problèmes suscités par la création de "cette agrégation spéciale" donnant directement accès à l'enseignement supérieur - distincte de celle qui menait à l'enseignement secondaire des collèges royaux. Comme H. WALLON pour l'histoire, OZANAM fut reçu premier pour les lettres. H. WALLON sera donc suppléant de GUIZOT en 1846.

Que savons-nous de la réputation et de la vie de professeur d'Henri WALLON à la Sorbonne ?

Sa carrière de professeur est liée à celle de l'écrivain. Le Larousse du 19ème siècle écrit : "WALLON n'a pas jeté comme historien un vif éclat. Les cours d'histoire qu'il fit à la Sorbonne étaient dépourvus de tout intérêt, absolument insipides et pour cette raison très peu fréquentés. Ce professeur de faculté faisait des leçons qui étaient à la hauteur d'une bonne classe de 7ème" ; rapport pour le moins peu élogieux.

Comme nous l'avons fait pour ses cours de collège, examinons les rapports d'inspecteurs qui nuancent quelque peu le jugement du Larousse : les traits essentiels dégagés par les inspecteurs ou les auditeurs44 des cours d'histoire moderne de WALLON ne nous étonnent pas outre mesure : beaucoup de sérieux, de l'érudition, peu de romantisme, une interprétation morale de l'histoire, une certaine "froideur" :



  1. grave et bienveillant (rapport pour l'année 1870) :

caractère : honnête, doux, respectable, l'honneur et la bonté même (rapport de 1862) ;

élocution : claire, nourrie, aisée, froide, correcte (rapport de 1870) ;

enseignement : en 1869, peu d'animation, toujours puisé aux meilleures sources. Savant : donne preuves, exemples. Ses leçons n'ont point un succès brillant, mais inspirent à ses auditeurs le goût de recherches savantes et d'une bonne méthode historique (rapport 1867). Ame religieuse, esprit tolérant (1861).

  1. en quoi excelle-t-il ? à rechercher les matériaux de l'histoire et à apprécier sainement les faits (rapport 1862). Il dit le bien là où il s'est rencontré et où il n'a point surmonté le mal (1855). Professeur modéré, impartial (1867).

  2. occupations étrangères à ses fonctions ? Tout entier à ses travaux historiques.

  3. conduite privée et publique : très bonnes.

Et le rapport de 1869 dit :

si ce professeur exerce peu d'actions sur le public, il donne aux esprits sérieux le goût de l'histoire exacte et impartiale.

Ce qui confirme ce que nous avons dit : WALLON a fait œuvre d'historien érudit, plus que doué à rendre l'histoire facile à comprendre par tous ; par conséquent, il a écrit moins d'œuvres de vulgarisation ou pédagogiques que d'œuvres d'érudition.

Déjà, dans un rapport de 1857, H. WALLON a cette réputation. L'inspecteur dit :

"J'ai assisté à la leçon d'histoire moderne de M.WALLON : nombre d'auditeurs pas très grand, mais qui semblent fidèles et sérieux."

Mais H. WALLON continue à être mis en cause pour ses croyances religieuses qui le poussent à insister en "théologien" plus qu'en historien sur l'histoire de l'église :

Rapport du 17 février 1855 : "Digressions sur le christianisme, sur les systèmes qui ont nié le caractère divin de cette religion, sur les épîtres de St Paul, etc. Salle pratiquement pleine, ce qui suppose plus de 100 auditeurs." "Cours très exactement fait".

Quel qu'en soit le nombre d'auditeurs, important en 1855, faible en 1857, les inspecteurs remarquent quand même le niveau de recherches des cours de H. WALLON. Il semble que Larousse fasse erreur en disant qu'ils sont tout juste du niveau de la classe de 7ème. Ils pèchent plutôt par leur trop grande précision.

Le rapport continue en ces termes :

"WALLON intéresse son auditoire même avec des digressions."

Pourtant, en mars, un nouveau rapport du même inspecteur, M. DANTON, signale que WALLON exagère dans ce sens :



"J'ai déjà signalé la voie où M. WALLON s'engage en dehors de son programme qui est la formation des peuples modernes. Les trois dernières leçons, ont été employées à commenter St Luc. . . tout cela pour démontrer la vérité des Saintes Ecritures. Si M. WALLON traçait à grands traits la vie de St Paul, ou les premiers développements du christianisme, il n'y aurait pas trop à se plaindre de ses digressions ; elles intéresseraient le public ; mais quand ce professeur prend un verset du nouveau testament, pour discuter longuement, avec une érudition de Bénédictin, les objections faites sur tel ou tel mot du texte, cela n'est ni conforme au programme du cours ni profitable au public.. . 45 ou 50 auditeurs, dont aucun ne prend des notes."

Jules CLARETIE, journaliste démocrate, dans ses portraits des hommes de la IIIème République, nous livre son propre témoignage : celui d'un des anciens élèves de WALLON professeur à la Sorbonne :



"Longtemps il a fait partie de jurys d'agrégation pour l'histoire, de bureaux d'examens à l'Ecole Normale, et sa bienveillance était proverbiale," nous dit-il, "même pour des candidats très hostiles à ses opinions ; grande preuve de libéralisme à propos des différences de doctrines, très fréquentes entre lui et ses jeunes collègues de l'Université !"

II nous fait retenir cette qualité de tolérance attribuée à ce professeur, car ce qui est vrai pour les querelles universitaires le reste-t-il aussi pour les querelles littéraires ou politiques ?

Et J. CLARETIE continue en nous donnant une image de WALLON tout à fait vraie ; beaucoup des contemporains de WALLON le voyaient de la même façon :

"Je me rappelle M. WALLON, " dit-il, "tel que je le vis quand je suivais son cours, vers 1857, une certaine raideur corrigée par une véritable bonhomie : rien de pédant, tout du savant, quelque chose aussi de patriarcal et d'honnête."

Comme nous le dit M. GADILLE :



"PERRAUD avait été l'élève de WALLON à l'Ecole Normale Supérieure et avait obtenu l'agrégation d'histoire. La proposition des titulaires de grades universitaires dans l'épiscopat explique les quelques relations existant entre l'université et plusieurs prélats, parmi les plus modérés. Par exemple, WALLON avec PERRAUD, DUPANLOUP. . . N'est-ce pas le résultat aussi de cet enseignement religieux ?"

H. WALLON est très fier de voir ce que donnent certains de ses élèves plus tard. La Revue de l'Instruction Publique du 3 mai 1866 écrit :



"H. WALLON et DUBOIS assistaient au cours d'ouverture de'" M. PERRAUD (leur ancien élève) sur l'histoire ecclésiastique et se réjouissaient de la voie ainsi fidèle à l'Eglise."

Ces notes sur les cours de H. WALLON nous donnent une idée de l'enseignement de celui-ci.


1848 : WALLON perd sa chaire à la Sorbonne .


En possession, en 1846, de cette chaire à la Sorbonne, Henri WALLON pourrait se croire enfin au bout de ses peines. Pourtant, la révolution de 1848 arrive, avec elle CARNOT comme ministre de l'Instruction Publique et la valse du personnel. CARNOT est contre l'ordonnance de COUSIN et H. WALLON est jugé trop peu républicain.

Les dossiers du ministère de cette époque nous permettent de mieux comprendre les raisons de cette destitution et les réclamations de H. WALLON montrent qu'une fois de plus il tient à défendre ce qui est son droit, et il donne aussi des indications intéressantes sur ses cours. Ces lettres adressées au ministère et les lettres du républicain SCHŒLCHER le défendant nous permettent de le situer par rapport aux républicains.

Son droit ? Celui d'agrégé, donc de pouvoir exercer la profession de suppléant en faculté - droit qu'il défend contre les protégés politiques (importants à l'époque).

Le 1er mars 1848, H. WALLON écrit au ministre :



"l'ai été nommé par mon titre alors que divers personnages politiques poussaient en avant un assez grand nombre de candidats.

Je n'ai donc point recherché ces fonctions et pour les prendre, j'abandonnai un titre définitif qui me rapportait davantage, celui de premier professeur d'histoire au collège Rollin."

Le 12 juillet 1848, WALLON renouvelle sa demande de réintégration comme chargé de cours à la Faculté :



"Ma réclamation se fonde sur un droit sacré : le droit du concours, ..malgré les influences politiques, "répète-t-il, "qui s'agitaient autour de cette chaire, le droit du concours fut respecté alors. Qui eut pu croire qu'il dût l'être moins sous un ministre de la République ? II en fut ainsi pourtant et dans cette mesure rien n'a pu être allégué qui me fût personnel.. . .Le ministre, je le reconnais, a été induit en erreur sur la portée de l'ordonnance de 1840, avant que sa décision ne fut rendue publique, les agrégés de la faculté, dans une démarche qu'ils ont faite près de lui pour défendre leur droit commun menacé dans ma personne, et la faculté elle-même, par son doyen, faisaient surtout valoir mon titre comme suppléant, la chaire n'était pas encore déclarée vacante, elle l'a été depuis ; et le secrétaire général, en se fondant sur cette raison, disait dans son rapport : "La suppléance étant un titre conféré par le professeur (c'est une erreur, mais peu importe) expira naturellement en même temps que le titre dont elle procède. " En conséquence, il proposait de confier la chaire à M. H.MARTIN, non plus comme suppléant, mais "comme chargé provisoirement de cours. "

Suit une note intéressante de H. WALLON : son opinion sur les concours qu'il considère comme une sélection "démocratique". A une époque où les pressions politiques jouaient tant dans le "cursus honorum", ce souhait d'un jeune professeur de voir cette institution se généraliser est assez révélateur.



"C'est l'institution des agrégés qui périt si l'on voit qu'un grade obtenu par de si difficiles épreuves est sans valeur aux yeux du pouvoir, c'est le droit du concours, droit démocratique que la révolution de février a sans doute pour mission d'étendre. "

Une note du ministère, envoyée à H. WALLON, explique la destitution de GUIZOT- comme pouvant "passer pour un acte de dictature légitimé par les circonstances, par la nature même du gouvernement provisoire" et par conséquent celle de WALLON, son suppléant.

A ce moment-là, H. WALLON participe justement au gouvernement de 1848 indirectement comme le secrétaire de la Commission d'Abolition de l'Esclavage, dont SCHŒLCHER est le Président (c'est lui qui a demandé à H. WALLON d'en faire partie). H. WALLON, une dizaine d'années après son prix de l'Institut dont nous avons parlé, avait remanié cette étude qu'il publia en 1847 sous la forme de son ouvrage intitulé : "Histoire de l'Esclavage dans l'Antiquité", très remarqué, qui lui a valu de jouer ce rôle politique.

SCHŒLCHER le soutiendra dans sa lutte pour obtenir à nouveau sa chaire. En septembre 1848, H. WALLON lui écrit, toujours à propos de son droit dû à la loi de 1840 (juriste et plus tard légiste, il défendra toujours le respect des lois) :



"En fait de politique, la meilleure est de maintenir fermement l'application des lois."

Lettre de H. WALLON à SCHŒLCHER :



"Mon droit n'est pas contesté ; seulement on dit : "c'est un acte politique", un coup d'état au petit pied. Cela sort des règles de la justice ordinaire et de la compétence de l'administration. C'est la théorie si commode des faits accomplis. . . .On dira au ministre : la loi est pour le réclamant, mais la révolution vous permet de vous élever au-dessus de la loi. Eh bien ! Cela me paraît une insulte à la révolution qui est venue pour confirmer la loi et non pour la détruire."

Finalement, H. WALLON, n'obtenant rien, change de tactique. Celle-ci est indiquée dans une note pour le ministre du 18 novembre 1848.

"Les instances ayant été jusqu'ici sans résultat, H. WALLON demande que la question soit portée devant le Conseil de l'Université. "

WALLON signale que l'affaire est grave, non seulement pour lui, mais aussi pour l'Université (les épreuves pour l'agrégation vont avoir lieu) et pour les candidats il s'agit de savoir si elle a quelque valeur.



"La Faculté se plaît à rendre à M.WALLON un témoignage qu'il a rempli avec le plus honorable succès les fonctions qui lui avaient été confiées. Son enseignement pendant deux années a porté sur l'histoire de l'esclavage dans les premiers siècles de l'ère moderne et a été marqué par un caractère constant d'élévation et d'indépendance. "

Y sont apposées les signatures de VILLEMAIN, COUSIN (sans doute moins favorable à WALLON qu'à son ordonnance), ST MARC GIRARDIN, GUINIAUT, OZANAM, etc.

Ces documents du ministère45 nous donnent aussi une certaine idée des cours donnés par H. WALLON à la Sorbonne.

Dans une lettre de mars 1848, H. WALLON essaye de prouver son Indépendance d'esprit et montre qu'il n'est pas un opposant à l'esprit républicain. Il parle d'abord de ses ouvrages :



"Permettez-moi de vous soumettre," écrit-il au ministre, "des titres écrits : une petite géographie politique de la France où, contrairement à l'usage reçu qui limite l'enseignement des collèges à 1789, je continuai l'exposé des révolutions et des progrès de la France jusqu'en 1815, cherchant à fortifier dans le cœur des élèves le sentiment national par le tableau que la grandeur de la république et de l'Empire ont assuré à notre patrie. Et cette Histoire de l'Esclavage de l'Antiquité, que je viens d'achever, travail auquel j'ai consacré 10 ans dans l'espérance de contribuer pour ma part à la grande œuvre de l'émancipation dont le succès est désormais assuré. Ces ouvrages disent clairement ce que je suis et, si mes sentiments avaient besoin de quelque répondant, j'en trouverais un dans M.MICHELET dont j'ai été l'élève et dont je reste l'ami. "

Dans une autre lettre de juillet 1848, H. WALLON écrit qu'il ne voit pas de reproches à faire à son cours :



"Le secrétaire général du ministère a bien dû en convenir : M. WALLON, dit-il, s'est acquitté aussi convenablement que possible de cette suppléance. La condition de prendre son suppléant parmi les agrégés de faculté limitait heureusement M.GUIZOT, et l'on peut dire que les circonstances particulières qui l'ont obligé d'agréer celui-ci ont été des plus favorables à l'Université. Aussi me paraît-il que M.WALLON est tout à fait digne. Monsieur le Ministre, de vous être signalé." (Moniteur du 6 avril 1848).

Dans les dossiers du ministère, les lettres de V.SCHŒLCHER, président de la commission d'abolition de l'esclavage, témoignent en faveur de H. WALLON. Il montre que celui-ci, par ses cours et ses fonctions, est d'idées libérales. Ce n'est pas un républicain de la veille, mais tout de même un "modéré", réflexion qui nous oriente déjà donc sur la carrière politique de H. WALLON. Il donne aussi des précisions intéressantes sur ses cours.

Dans une lettre du 18 juillet 1848, SCHŒLCHER écrit :

"Son cours était uniquement renfermé dans la défense historique du principe de liberté… qui triompha par l'abolition de l'esclavage. Ce coup lui a été porté (destitution de sa chaire), au moment même où il remplissait les fonctions de secrétaire de la commission de l'abolition de l'esclavage ; il a rendu les plus grands services. La destitution n'a réellement été qu'un acte de faveur pour son remplaçant. M.WALLON n'a pas voulu discuter dans les journaux. C'est un homme modéré, il a mieux aimé attendre le jour de la justice et il espère l'obtenir de vous. "

Dans une lettre du 20 juillet 1848, SCHŒLCHER précise bien :



"II n'est pas plus républicain de la veille, je suis forcé de le dire, que H. MARTIN, mais il est aussi parfait honnête homme, il a autant de talent et de plus il a le bon droit ! "

WALLON rétabli dans ses fonctions à la Sorbonne.


A la demande de la Faculté, H. WALLON sera rétabli dans sa chaire en novembre, il l'avait quittée en avril, et ce sera cette fois-ci pour une longue durée : 38 ans ! En novembre 1849, il en deviendra professeur titulaire sur la présentation de la Faculté et du Conseil Académique.

H. WALLON PAR RAPPORT AUX EVENEMENTS DE L'EPOQUE.


Nous avons voulu montrer les rapports de H. WALLON avec l'Université. Par quelques lettres et, comme nous l'avons fait quand il était à l'Ecole Normale, nous pouvons essayer de le situer par rapport à l'époque, par rapport à quelques mouvements comme le catholicisme social, par rapport aux agitations politiques : changements de ministère ou événements parisiens : la translation des cendres de Napoléon, par exemple.

H. WALLON par rapport aux Catholiques


M. GERBOD indique 3 tendances dans l'Université :

  1. les spiritualistes, qui s'efforcent de concilier foi et raison, et nous avons vu qu'Henri WALLON n'appartient pas à cette tendance.

  2. les catholiques "sociaux", qui militent dans les œuvres, par exemple la Société de Saint Vincent de Paul.

  3. les ultras, qui appartiennent au passé ; nous pouvons déjà dire qu'Henri WALLON n'est pas de ceux-là.

MM. LATREILLE et REMOND, dans l'Histoire du Catholicisme en France, distinguent :

"Les ultras ou intransigeants : pour l'absolutisme en politique ; et les libéraux : pour une idée de démocratie ou au moins de régime représentatif. Ce qui a préoccupé ces derniers, c'est de voir la pensée philosophique glisser du traditionalisme au positivisme et au rationalisme, la littérature et l'art d'un romantisme imprégné de religiosité à la recherche de la sensualité et au réalisme. Témoins d'une transformation intellectuelle et morale, ils ont trop pensé à l'attribuer à des influences anti-chrétiennes et non à un développement matérialiste."

Nous verrons que toute la vie de H. WALLON sera la défense de la religion pour faire régner les vertus morales, mais pour la liberté religieuse et non pour un état catholique.

H. WALLON, comme les leaders du catholicisme : DUPANLOUP, MONTALEMBERT, VEUILLOT etc., atteint l'âge mûr à la fin de la Restauration et connaît la Monarchie de Juillet, la IIème République, et le Second Empire. Nous verrons les contacts qu'il a pu avoir avec ceux-ci : très nombreux avec DUPANLOUP, il s'affronte avec MONTALEMBERT à la Chambre des Députés en 1848 et nous verrons aussi en quels termes "l'Univers" de VEUILLOT parle de lui.

De plus, H. WALLON rencontre LACORDAIRE à Notre-Dame et OZANAM à la Sorbonne. Il ne rencontrera pas LACORDAIRE particulièrement, mais, comme nous l'avons vu, il fut un ami d'OZANAM.

Situons-le d'abord par rapport à LACORDAIRE, puis par rapport à OZANAM et enfin par rapport à DUPANLOUP. Mais cette ébauche de ce que nous pouvons dire de H. WALLON catholique libéral sera complétée par l'étude de l'action de celui-ci, en ce qui concerne la liberté de l'enseignement.

Nous pouvons aussi déjà noter que H. WALLON écrira dans le "Correspondant", comme DUPANLOUP, l'Abbé GERBET, LACORDAIRE, le Vicomte de MELUN, MONTALEMBERT, OZANAM, VEUILLOT, etc.

Alors a-t-il des affinités avec le "catholicisme social", ou bien garde-t-il, dans ce domaine aussi, son indépendance ?

Nous savons par la correspondance de famille que H. WALLON en mars. 1835, suit les conférences du Père LACORDAIRE à Notre-Dame et nous voyons combien LACORDAIRE, à peine connu, "fait sensation" auprès de la jeunesse des écoles, c'est réellement un événement. En effet, en 1835, l'archevêque de Paris offre à LACORDAIRE la chaire de Notre-Dame.

Le succès remporté par ces prédications enthousiasme Henri WALLON qui, à ce moment là du 19ème siècle, croît sincèrement à un renouveau du christianisme devant tant de ferveur. En mars 1835, H .WALLON suit les conférences du Père LACORDAIRE ; II écrit :

"Aujourd'hui, je vais vous quitter pour aller entendre un sermon, mais un fameux sermon ! Les vastes nefs de Notre-Dame, grandes comme des rues et ordinairement désertes, ne suffisent plus pour contenir la foule qui s'y presse. C'est un jeune prêtre (autrefois associé à LAMMENAIS), LACORDAIRE, qui y fait, pendant le Carême, des conférences pour les jeunes gens. Il y a bien aussi quelques femmes curieuses, mais elles ne sont pas admises dans la nef principale. Cette foule de 5 à 6000 personnes, ce sont tous des jeunes gens des Ecoles de Paris.

Promenez-vous le samedi soir après dîner dans les allées du Luxembourg (et les promenades commencent à devenir délicieuses), vous n'entendez que jeunes gens parlant de LACORDAIRE et se promettant d'aller à Notre-Dame entre 11h et 12h, parce que plus tard il n'y a plus de places, le sermon commençant à l heure. Je finirai donc afin de ne pas être aussi mal placé que la dernière fois ! "

II décrit encore celle-ci, en avril 1841, à propos des conférences à Notre-Dame :



"Mais si vous aviez sous les yeux, mon cher Papa, le spectacle qu'offre Paris : 4 à 5 000 hommes (tous des hommes), se pressant tous les dimanches dans les nefs de Notre-Dame pour entendre les conférences de M.de RAVIGNAN, vous pourriez dire, ce ne sont pas là autant de croyants ; et, en effet, des protestants, des rabbins juifs, tout comme des indifférents, et venus entendre ces démonstrations de la vérité catholique.

Que dites-vous de cette affluence d'hommes de tous âges, mais généralement de classes éclairées ? Que Paris est une ville d'obscurantisme ?"

II est important de noter que H. WALLON insiste sur le public de Notre-Dame :"gens éclairés". M.VIGIER46 dit, à propos de ces conférences :



"Le public cultivé cesse de voir dans la religion romaine un amas de superstitions destiné aux gens incultes."

Quant à OZANAM, quelles ont été exactement les relations de H. WALLON avec celui-ci ? Nous pouvons dire, d'après la correspondance, qu'ils étaient amis. Dans une lettre à sa femme du 4 août 1842, OZANAM écrit :



"Tout ce que Je vois ici d'honnêtes gens veut être mentionné dans mes lettres pour t'offrir de respectueux compliments : ce sont M.WALLON, M. RENDU, M. AMPERE, M. FAURIEL, etc."

Le 23 juillet 1844, il lui écrit :



"être triste de n'avoir pas trouvé : EGGER, WALLON et DALEMBERT qu'il souhaitait voir. "

Et le 26 juillet 1842, il raconte à sa femme le déjeuner chez H. WALLON :



"Pendant le déjeuner, point de cérémonie, peu de convives, un oncle, un cousin, deux amis. Impossible de refuser. Et, quand tu me croyais seul à ma table en présence de mes tristes pensées, je m'asseyais à un repas, modeste, mais animé par une conversation vive et une pointe de vin de Bordeaux. Cependant, ce qui me charmait le plus, étaient les deux petites filles qui étaient, l'une sur sa maman, l'autre à côté, se faisant mille enfantines caresses. "

Ont-ils poursuivi leur relation ? Pour le savoir, il faudrait continuer à dépouiller la correspondance d'OZANAM aux Archives. Et surtout, a-t-il participé à l'œuvre d'OZANAM ? H. WALLON, en tout cas, (d'après le livre de Mgr BAUNARD sur OZANAM) n'a pas été un des premiers membres de la Conférence St Vincent de Paul. Pourtant, ce mouvement, né d'une conférence d'histoire à la Sorbonne, aurait pu le toucher, et les points communs avec OZANAM sont évidents. Dans son introduction sur celui-ci, Mlle CARON cite OZANAM :



"Je suis de l'Eglise et de l'Université tout ensemble," écrit-il. "Je leur ai consacré sans hésitation une vie qui sera bien remplie, si elle honore Dieu et qu'elle serve à l'Etat. Je veux concilier ces devoirs quelle qu'en semble la difficulté. "

N'est-ce pas l'ambition et la vie de H. WALLON ? Mais les moyens seront différents : H. WALLON, comme professeur et écrivain, homme politique, OZANAM dans un engagement plus social.

Parmi les correspondants d'Henri WALLON, après ses chers parents et son maître spirituel et ami l'abbé RARA, il faut citer Mgr DUPANLOUP. Les quelques lettres que nous conservons aujourd'hui (14 dans les manuscrits de la Bibliothèque Nationale, 22 au séminaire de St Sulpice), nous permettent de croire que les deux hommes se rencontraient souvent. Etaient-ils amis ? Pas vraiment, leurs rapports étaient chaleureux, mais H. WALLON garde toujours dans son estime pour lui un profond respect et le considère comme son supérieur, étant donné sa position dans l'Eglise - à en juger par les formules que H. WALLON emploie à la fin de ses lettres :

"Je prie votre grandeur d'agréer l'assurance de mon profond respect. "

Ou encore, dans une lettre du 14 février 1860 :



"plus que Jamais je puis dire avec fierté combien Je m'honore d'être, Monseigneur, votre très humble, très obéissant et très dévoué serviteur. "

Les nombreux points communs entre les deux hommes sont :



  • hommes de lettres et même hommes d'académie,

  • hommes de loi et théologiens,

  • hommes d'Eglise avant tout, dont toute action dans la vie publique est guidée par la foi catholique.

Nous plaçons ici une de ces lettres47 relatant un événement important de l'époque : le Syllabus et le Concile qui suivit et le rôle important de DUPANLOUP à ce moment-là. Comme les catholiques libéraux, H. WALLON est très inquiet de voir l'opposition du Pape à tout esprit de tolérance, de liberté, etc.. DUPANLOUP, comme chef du parti catholique libéral, présente le Syllabus comme destiné à combattre seulement la Révolution et les abus de la liberté moderne. Son interprétation recueillit l'adhésion de 630 évêques. Dans ce contexte, la lettre de H. WALLON à DUPANLOUP s'explique et la position de H. WALLON s'éclaire ; il écrit de Paris, le 24 décembre 1868 :

"J'ai lu avec une bien vive émotion, votre lettre pastorale sur le prochain concile, que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer. Le Concile a déjà provoqué bien des hostilités. Il a fait naître aussi des inquiétudes que vous dissipez, et comment partager ces alarmes ? Votre lettre nous fait entendre une des voix qui y seront les plus écoutées, et le Saint-Esprit sera là."

Admirateur de ces grandes personnalités du catholicisme libéral, écrivain au "Correspondant", défenseur, nous le verrons, de la liberté de l'enseignement, H. WALLON peut donc être classé dans ce groupe. Dans une lettre à Mgr LAGRANGE48, non datée, il écrit :



"Pour moi. Gallican je suis. Gallican je resterai comme mes frères, et toujours tout à Dieu, bien à vous. . . "

H. WALLON n'est donc pas, pour le moins, du côté ultra.


H. WALLON par rapport aux événements politiques.


Si H. WALLON a effectivement joué un rôle dans la question de la liberté de l'enseignement, en 1850 pour l'enseignement secondaire (il défend l'université), et en 1875 pour l'enseignement supérieur (la loi passe sous son ministère), il avait déjà son opinion pour l'instruction primaire : loi GUIZOT 1833. Nous l'apprenons dans une lettre de H .WALLON à son beau-frère de février 1836. Il lui demande s'il en est toujours aussi fâché ?

"Mais vraiment je ne vous conçois pas. N'est-il pas bien juste que chacun puisse élever ses enfants comme il le veut ? Car enfin, c'est la base de la base des libertés, de la liberté de conscience ! De là sans doute pourront naître bien des abus et c'est une des prédictions les plus sûres de ce beau rapport dont M. GUIZOT faisait précéder sa propositions; mais plus une chose est féconde en avantages, plus elle peut aussi produire du mauvais. . . II y a bien des choses que le Ministre se réserve encore, et après tout cette loi n'est vraiment qu'un germe de réforme : elle contient tout. . . "

H. WALLON aurait souhaité que GUIZOT continue assez longtemps son ministère pour achever son œuvre.



"Mais voilà qu'une question de finances fait partir le Ministre de l'Instruction Publique. . . Je crois vraiment que je vais devenir ministériel depuis que les ministres n'y sont plus !"

H. WALLON est donc pour la liberté de l'enseignement avec certaines limites : il a peur des abus et c'est dans ce sens qu'en 1850 il va œuvrer pour le maintien des grades nécessaires pour ouvrir une école.

Nous avons aussi son opinion sur GUIZOT : il n'approuve pas le changement de ministère avec un second ministère MOLE : hommes dévoués à Louis-Philippe. Il dit du futur ministre de l'Instruction Publique :

"Le portefeuille que M.GUIZOT gérait si consciencieusement va passer au premier apprenti ministre. "

II s'agit de M. de SALVANDY, peu apprécié des universitaires, nous dit H. WALLON, dans une lettre d'octobre 1837 :



"II veut tout faire par lui-même et passe outre à l'avis du Conseil."

M.VILLEMAIN n'appelle ce ministre que "M. de Chose". . .: "c'est absurde, mais M. de Chose le veut ainsi."

H. WALLON, lui, changera d'avis à l'égard de celui-ci, parce que, sous ce ministère, beaucoup de réformes ont été accomplies.

Autre événement politique raconté par Henri WALLON. Au cours d'un sermon de LACORDAIRE, l'opposition que celui-ci manifeste à l'Empire. Comme universitaire et catholique libéral, H. WALLON s'associe pleinement à ces idées. M.REMOND dit :



"Sous l'Empire, la domestication de l'Université, le mépris où l'on tient l'intelligence blessent les universitaires."

Et avec LACORDAIRE, H. WALLON reproche le manque de liberté. Nous avons retrouvé, dans les archives de famille, un commentaire de H. WALLON de ce sermon de LACORDAIRE du 12 février 1859 à l'église St Roch :



"Vous savez qu'il a été fortement question d'exiler le Révérend Père LACORDAIRE. Ce sermon est certainement l'acte d'opposition le plus vigoureux et le plus beau qui ait été fait en France depuis que nous sommes sous le règne du coup d'Etat. J'y étais. Je ne puis vous peindre quel effet merveilleux produisaient ces sublimes paroles tombant comme une pluie de feu sur cet auditoire où l'on remarquait un si grand nombre de courtisans du nouvel empereur. Mgr DONNET et Mgr SIBOUR courbaient la tête comme devant un juge envoyé d'en haut pour prononcer leur arrêt. 3000 personnes étaient là : les hommes d'Etat, les écrivains, les généraux étoiles de plaques d'ordres, des femmes du monde et des femmes de cette cour, une foule de gens venus là comme on va au spectacle, et qui ne pensaient pas, à propos d'un sermon de charité, qu'ils allaient se retremper aux sources de la vie et de la liberté. M. LACORDAIRE improvise ses discours. De là cette vie ardente qui est une des beautés de son éloquence. "

Et H. WALLON cite LACORDAIRE :



"Dieu conduit ces choses : II permet qu'il y ait les empereurs et les bourreaux pour qu'il y ait les saints et les martyrs. Il élève des empires pour qu'il y ait des larmes."

Et H. WALLON continue:



"Je n'ai pas besoin de vous dire quelle sensation ce magnifique discours a produit aux Tuileries. Les ministres se sont assemblés, M. MAUPAS et M. FOULT étaient surtout d'une colère extrême ; ils voulaient sévir ; ils voulaient que le Révérend Père LACORDAIRE fut immédiatement exilé. M. de ST ARNAUD, M. FOURTOUL, M. BINEAUX, M. MAGNE et M. DUCOS appuyaient leur avis. M. de PERSIGNY était pour les moyens moins violents, II voulut qu'on se contentât de l'interner. L'Empereur était fort irrité, et bien certainement, s'il n'eut écouté que sa colère, le hardi prédicateur prêcherait actuellement en Belgique. Mais il a compris que pour un tel homme, comme pour tout défenseur de la liberté, la persécution est une gloire et, qui plus est, une gloire utile à la cause que l'on défend. M. de LACORDAIRE est dans le département de la Côte d'Or, dans une maison de son ordre. On se sent fier d'être de l'opposition, lorsqu'on s'y trouve avec des hommes comme LACORDAIRE et comme tous les nobles esprits que l'exil a chassés de la patrie. "

Pourtant, avant le coup d'Etat de Napoléon III, H. WALLON raconte quelques événements parisiens : l'érection de l'obélisque de Louxor et la translation des cendres de Napoléon 1er ; il semble en apprécier le faste et, en tout cas, il est admiratif de Napoléon 1er : il écrit, le 26 décembre 1833 :



"J'étais allé lundi pour voir le Roi se rendant au milieu de son Etat-Major à l'ouverture des Chambres. Au moment où il entrait à la Chambre, arrivait l'obélisque de Louxor sur le vaisseau qui, dit-on, l'alla chercher en Egypte. Ces bons Parisiens finiront par croire que Louis-Philippe a rendu Paris port de mer, sans qu'il lui ait fallu pour cela réaliser les gigantesques projets de Napoléon ! Du reste, je ne blâme pas du tout cela et je ne manquerai pas d'assister à l'érection de ce monument ; on dit que ce sera une merveille de mécanique ! "

Et dans une lettre du 15 décembre 1840 :



"Les restes. J'aurais bien voulu, mon cher Papa, que vous eussiez été à Paris pour la translation des restes de Napoléon ramenés en grande pompe de Ste Hélène par le Prince de JOIN-VILLE ; elles furent déposées sur le dôme des Invalides. Depuis l'Arc de Triomphe, tout le long des Champs-Elysées jusqu'aux Invalides, il y avait, de distance en distance, des colonnes portant le nom d'une victoire et surmontées de l'Aigle doré, puis des statues colossales tendant une couronne, puis une énorme cassolette de 4 pieds carrés au moins où on brûlait des parfums. C'était un moment d'une bien vive émotion, quand passait devant vous le char portant ces glorieuses dépouilles. . . Je ne puis retenir mes pleurs en lui présentant les armes (Henri WALLON faisait partie de la Garde Nationale mobilisée pour la cérémonie). Jamais la foule n'avait été plus considérable malgré le froid, jamais la garde nationale plus nombreuse. .. II fallait 3 ou 4 heures pour défiler. On défilait en faisant suite au cortège, l'arme baissée sur l'épaule gauche et on suivait ainsi jusqu'à la grille des Invalides, mais, comme vous pouvez bien le penser, on n'y entrait pas. J'y suis allé hier visiter la chapelle ardente et le tombeau avec le Collège Louis-le-Grand qui y était admis et, aujourd'hui, j'y ai conduit Hortense avec ma médaille - elle dispense de faire la queue et par 8° de froid et 2 pieds de neige, cela n'est pas agréable. La cour intérieure est décorée de la manière la plus imposante des trophées d'armes surmontés d'un aigle entre chaque fenêtre, des noms de généraux et de batailles tout à l'entour, des draps mortuaires entre chaque trophée. Au-dessus deux immenses amphithéâtres où on n'avait été admis qu'avec des billets et où on eut le privilège de geler sur place de 10h à 2h au moment de l'arrivée du cortège."

Enfin, l'intérieur de la chapelle . . . , même genre de description :



"Sous le dôme, un cercueil en ébène avec le chiffre de Napoléon en argent. Devant, sur un coussin, la couronne impériale, la même que Napoléon déposa sur la tête de Joséphine à son Sacre. Autour, des drapeaux pris à l'ennemi, détachés de la voûte, puis de vieux invalides, débris vivants de notre gloire passée ... "

responsabilité administrative et politique


Cette carrière universitaire de l'étudiant et du professeur va s'acheminer vers la responsabilité administrative et politique qui seront son couronnement.

conseil superieur de l’instruction publique


En 1873, H. WALLON est nommé membre du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique, en 1875 ministre de l'Instruction Publique et des Cultes et en 1876, Doyen de la Faculté des Lettres49.

Comme défenseur de l'Université, dans son indépendance par rapport à l'Etat, WALLON considère le Conseil Supérieur de l'Instruction Publique comme essentiel.

M. GERBOD nous dit, en parlant de l'Université sous l'Empire

"Les réformes de FORTOUL ont fait de l'université une armée dont les recteurs sont les chefs de corps et dont le Ministre est le généralissime. . . et, pour les universitaires, il faut rétablir le Conseil de l'Université, car celle-ci n'a pas pu remplir sa mission parce qu'elle avait perdu son importance. Cette idée chemine vite et paraît comme une revanche sur l'oppression de 1848 jusqu'à 1863 ; à l'Assemblée Nationale, une proposition de loi tendant à rétablir le Conseil Supérieur sur les bases de la loi de 1850 a été déposée. "

Cette proposition est signée par le duc de BROGLIE, de COR-CELLES, WALLON alors député, et ST MARC GIRARDIN. Déjà, cette proposition avait été déposée à l'Assemblée par WALLON lui-même le 21 avril 1871.

Le 8 janvier 1873, H. WALLON parle à la tribune en ces termes :

"II est nécessaire qu'il y ait un Conseil Supérieur. Le projet dont s'occupe la commission dont je fais partie n'a trait qu'à une seule question, à savoir la liberté de l'enseignement. Or, c'est surtout pour préparer une loi sur l'organisation de l'Instruction Publique que nous aurions besoin qu'un Conseil de l'Instruction Publique fut établi, car c'est là que cette grande question peut être la mieux étudiée. "

WALLON s'intéresse donc à l'organisation de l'Instruction Publique ; il en donne les raisons dans un discours de mars 1873 : depuis 1871, WALLON n'avait pas pris la parole souvent, comme il le dit lui-même, mais quand il s'agit de l'Université, et nous verrons en 1875 de droit constitutionnel, il tient à se faire entendre :



"Depuis deux ans et plus que je fais partie de cette Assemblée, je n'ai point parlé une heure en tout. Lorsque je viens vous parler d'une question que je connais peut-être un peu, depuis 40 ans que je suis dans l'Université, j'aurais peut-être droit à être écouté ! "(Parlez, parlez ! On vous écoute.)

Et WALLON donne son point de vue quant à l'organisation de l'Instruction Publique : il faut éviter les erreurs de l'Université du Second Empire :



"Le ministre seul, avec ses bureaux, ou pour parler plus exactement, les bureaux seuls avec leur ministre : c'est l'autocratie des bureaux établie par le prince-président que vous consacreriez. Si vous supprimiez la section permanente du Conseil, c'est revenir au régime de l'Université au Second Empire. "

Et WALLON rappelle que J. SIMON et lui en avaient été les fondateurs dans l'Assemblée Constituante de 1848. Le débat se termine, WALLON reprend la parole :



"Monsieur le Ministre," (il s'agit justement de J. SIMON) me donnant plus que je demandais, je n'insiste pas davantage". (Il s'agit de l'élargissement du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique).

Sénateur, WALLON fera de vains efforts pour conserver la représentation des grands Intérêts de la société et de l'Etat dans la composition du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique, réduit à la seule représentation du corps enseignant par la loi du 27 février 1880.

WALLON, Ministre, présidera ce Conseil, qu'il réunira, alors que ses prédécesseurs n'avaient pas tenu compte de l'avis de celui-ci :

"Ce n'est qu'en 1875 que le Conseil Consultatif est rétabli dans ses prérogatives par WALLON". Arrêté du 23 mars 1875.

Son discours, à l'ouverture de la session de ce Conseil le 7 juin 1875, montre cette intention :



"Messieurs, la session qui s'ouvre me retrouve parmi vous, mais désormais dépouillé du titre qui me donnait pour 6 ans le droit de prendre part à vos travaux. Si j'ai reçu, en échange l'honneur passager de vous présider, je veux au moins user des pouvoirs qui s'y rattachent pour assurer une prompte exécution à vos sages avis. "

Et WALLON continue :



" La commission spéciale, nommée par vous, en vertu des pouvoirs que la loi vous donne, vous aura préparé son rapport sur l'état général de l'enseignement. Mon administration est mise à sa disposition pour ce qui regarde l'Instruction Publique et je me propose de faire servir au bien de l'Université ce que votre commission pourra m'apprendre sur l'enseignement libre, je suis de ceux qui, au sein de l'Assemblée Nationale, ont eu pour première pensée de rétablir le Conseil Supérieur dans son indépendance et dans sa force, comme une garantie pour les écoles libres, dont il est le patron naturel, et pour les écoles publiques qui devront être, pendant longtemps, vu leur nombre, le principal objet de ses soins. "

Ce passage de discours nous indique déjà quel sera l'essentiel de l'œuvre de WALLON, Ministre : rendre au Conseil Supérieur, son indépendance et sa force, et surtout la loi de la liberté de l'enseignement supérieur et son application : WALLON défend les écoles libres et les écoles d'Etat.

WALLON est donc nommé Ministre en mars 1875 dans le premier ministère constitutionnel, celui de BUFFET : hommage rendu au "Père de la Constitution", comme en témoigne la caricature du Journal, ci-joint : M.WALLON vivement touché de cette première marque d'affection de la part de la République à son Père ; celle-ci lui remet le portefeuille. Quel portefeuille ? WALLON, comme universitaire et défenseur de l'Université, comme il se doit, reçoit celui de l'Instruction Publique et plus précisément, celui de l'Instruction Publique et des Cultes.

WALLON ministre


Que savons-nous de WALLON, Ministre des Cultes ?

Par la correspondance de WALLON à DUPANLOUP, nous apprenons par exemple que la nomination des évêques dépend de l'Etat, et de son ministère plus particulièrement. Il est intéressant de voir que WALLON suit les conseils de DUPANLOUP à ce sujet.

Lettre du 3 août 1875:

"Je viens de soumettre à la signature de M. le MARECHAL" avec l'assurance que ces choix seraient accueillis à Rome, la nomination de Mgr l'évêque de Grenoble au siège de Besançon, de M. l'abbé BESSON à Nîmes, de M. l'abbé CORTET à Troyes et de Mgr FAVRE (évêque de la Martinique) pour remplacer l'évêque de Grenoble. Vous voyez que j'ai écarté, selon votre avis, plusieurs noms qui étaient fort appuyés ailleurs. "

De même, dans une lettre du 13 février 1876, au sujet de la nomination de Mgr l'évêque de Perpignan au siège d'Albi :



"La chose était-elle si entièrement acceptée à Rome ? II ne le paraît pas... Une lettre du Saint Père a été transmise et l'invite à rester dans son diocèse. Les intentions du gouvernement n'ont jamais été d'ouvrir un conflit avec Rome à ce sujet. Si vous êtes encore à Rome, veuillez voir M. FRANONI et faire ce que vous croirez utile pour que ce que j'ai proposé de faire au Président de la République, en me conformant à vos conseils de point en point, soit confirmé."

C'est encore au Ministre des Cultes, WALLON, que s'adresse DUPANLOUP en lui envoyant une lettre pastorale.

Lettre du 3 décembre 1875 : WALLON répond à Mgr DUPANLOUP

"J'ai à vous remercier de l'envoi de votre lettre pastorale sur l'adoption du rituel romain, lettre où vous unissez si bien le sentiment d'affection que vous avez pour l'Eglise des saints évêques dont vous êtes le successeur et la vénération pour le siège suprême autour duquel toutes les églises sont une seule église.

Des dossiers50 des Archives Nationales nous avons une lettre intéressante de 1876. H. WALLON, Ministre de l'Instruction Publique, envoie une lettre à l'évêque du Puy donnant des indications qu'il avait eues au sujet des membres du clergé de ce diocèse qui, au moment des préélectorales, auraient distribué des bulletins en faveur des partis qu'ils souhaitaient voir triompher. H. WALLON demande à l'évêque de dire à son clergé de rester en dehors de tout parti politique.

Après l'envoi de cette circulaire, nous dit M. GADILLE, l'archevêque de Paris avait finalement décliné la suggestion que le Pape, poussé par DONNET et DUPANLOUP, lui avait faite de lancer un appel à l'union des catholiques français.

WALLON catholique, mais ministre, exécute-t-il les ordres du gouvernement contre son gré ? ou est-il réellement contre l'union des catholiques français ? En fait, WALLON a toujours été contre l'autorité temporelle du Pape, et cette union pourrait être un argument.

Pour avoir une idée du ministère WALLON, voyons quelques jugements portés sur lui dans cette fonction même.

Le Larousse du 19ème siècle n'en relève que la déception des républicains de voir le "Père de la Constitution" faire le jeu du parti clérical :



"Dans le remaniement ministériel, M.WALLON succède à M. de CUMONT à l'Instruction Publique. Dans un discours du 3 avril aux sociétés savantes, il osa affirmer hautement la République, ce qui lui acquit un instant une certaine popularité. Mais l'attitude qu'il prit dans la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur fit tomber toute illusion. M. WALLON se montra l'instrument docile du parti clérical et ce ne fut pas sans étonnement qu'on vit le Grand Maître de l'Université se tourner contre elle et se prononcer, au nom de l'Etat, pour le jury mixte contre le jury de l'Etat (la loi sur l'enseignement supérieur et son application occupèrent à peu près exclusivement M.WALLON pendant son passage au Ministère)."

Nous reparlerons dans notre Troisième Partie - quand nous verrons les idées politiques de WALLON - de ce discours aux Sociétés Savantes, à la Sorbonne, et aussi de la liberté de l'enseignement.

La liberté de l'enseignement est du ressort de WALLON à double titre : Ministre des Cultes et Ministre de l'Instruction Publique. Et puis n'est-elle pas aussi une de ses préoccupations depuis le début de sa vie ? Nous l'avons vu s'en préoccuper déjà, lors de la loi GUIZOT pour l'enseignement primaire.

Mais le Larousse ne parle pas du rôle administratif pour l'organisation de l'Instruction Publique. Voyons ce qu'en dit le Dictionnaire Universel des Contemporains de G.VAPEREAU :



"WALLON prit, dès le début, quelques mesures administratives utiles et justes, créa un certain nombre de chaires dans diverses facultés des départements, éleva le chiffre des places d'agrégés des Sciences et des Lettres."

Le Dictionnaire parle aussi de la loi de juillet 1875 :



"Son attitude lors de la discussion de la loi sur la liberté de l'enseignement supérieur ne parut point conforme au rôle d'un grand Maître de l'Université : il abandonna, sur la question de la collation des grades, le droit absolu de l'Etat et soutint, en faveur des Universités catholiques libres, l'institution du jury mixte. "

Le jugement de PERROT, dans sa notice, est à peu près identique :



"Dans le premier cabinet de M. MAHON, avec BUFFET et DUFAURE, WALLON tenta de rétablir l'agrégation des Facultés (dont il avait été un des premiers candidats). Il obtint des crédits pour la Faculté de Droit de Lyon, de Médecine de Lille, mais si ces mesures libérales lui valurent une approbation universelle, dans la liberté de l'enseignement supérieur, beaucoup lui reprochèrent de ne pas avoir défendu avec plus d'énergie les droits de l'Etat. On lui en voulut pour les jurys mixtes (supprimés l'année suivante). "

Dans La France Contemporaine de Cl.DELTOUR51, nous apprenons que WALLON avait pensé aux professeurs titulaires (il s'est souvenu de ses propres difficultés) en supprimant l'éventuel produit des examens, en compensant largement par l'accroissement du traitement fixe. A la mort de WALLON, la plupart des journaux ne parleront, au sujet de WALLON ministre, que de la loi de 1875. Comme le Petit Journal l'écrit en ces termes :



"Ministre de l'Instruction Publique le 10 mars 1875, il fit voter la loi le 10 juillet sur l'enseignement. Il quitta le ministère le 10 mars 1876."

Voilà en quoi se résume pour les contemporains ce ministère qui n'a duré qu'un an.

CROISET nous livre un témoignage important qui explique, en partie, le peu d'intérêt suscité par l'action de WALLON, ministre, pour les contemporains : elle représente peu de chose par rapport aux grands bouleversements futurs, mais WALLON, et son équipe, représente bien l'Université d'alors, et fut respecté pour cela.

" Au ministère, son passage fut court, nous dit-il, et bien qu'il y ait fait d'excellentes choses, la trace s'en est un peu effacée par l'importance des réformes qui suivirent. Mais je me souviens encore de l’impression produite dans l'Université d'alors par le choix des collaborateurs immédiats dont il s'entoure : M. JOURDAIN comme secrétaire général et M. DELTOUR comme chef de cabinet : deux hommes à son image, d'une honnêteté et d'une modestie à toute épreuve : l'Université se reconnaît en eux. "

Pour le journal "L'Univers", ou pour le journal "Le XIXème siècle" cette constatation s'accompagne d'un jugement de valeur assez virulent. M. GERBOD, dans un paragraphe intitulé : "Qui défend l'Université ?", à propos d'un article du "XIXème siècle" sur WALLON, dit :



"Le XIXème Siècle" assume la défense quotidienne du corps enseignant. Ce journal dénonce inlassablement les traîtres qui, élevés dans l'Université, l'abandonnent ou la combattent. Et les traîtres, inconscients, sont les plus funestes ou les plus grotesques. WALLON, un grand universitaire pourtant, devenu ministre de l'Instruction Publique, a fait, sans le savoir, beaucoup de mal aux universitaires et à l'Université. N'est-il pas destiné, affirme ABOUT, à être aussi impropre qu'un FALLOUX, FORTOUL ou un CUMONT" (article du "XIXème Siècle" du 21 octobre 1875 : WALLON jugé par ABOUT).

Par contre, l'Univers, dont le "XIXème Siècle" "relève les erreurs au jour le jour", nous dit M.GERBOD, dénonce les adversaires de l'Eglise et de l'enseignement libre : SARCEY, E. ABOUT, Ch. BIGOT, universitaires de la presse radicale, WADDINGTON parce qu'il veut supprimer les jurys mixtes, et même M. WALLON, ce bon catholique, dévoué aux intérêts de l'Eglise, n'échappe pas aux critiques. « Il a reconnu, en 1875, son hérésie scientifique, mais avec quel embarras, quelle timidité. »

"L'Univers" reproche donc à WALLON toutes ses prises de position avant celle de la loi de 1875 et encore il considère que WALLON a été "trop timide" dans sa participation à cette loi.

Nous voyons ici, une fois de plus, et portée à son maximum, l'ambiguïté de WALLON à cette époque, catholique et universitaire ; catholique. II veut le développement du catholicisme ; universitaire, II veut le développement de l'Université. Pour lui, les deux sont conciliables, il appartient à cette minorité, à la fois louée et honorée et mise en accusation par chaque clan. Comme dit ABOUT, "il désire réconcilier des éléments Inconciliables."

Nous avons situé WALLON, ministre, par rapport à différents jugements portés sur lui ; l'étude du contexte historique permet aussi de mieux le situer dans cette fonction. M.GERBOD dit :

"Du 25 mai au 12 décembre 1877, les ministres se succèdent à un rythme rapide à la tête de l'Instruction Publique... "

II parle pour les premiers de "réaction anti-universitaire" avec BATBIE, FOURTOUL et surtout CUMONT. Puis il signale :



"H. WALLON, du 10 mars 1875 au 9 mars 1876 s'efforce de ramener la paix et la confiance dans le corps des universitaires. "

Voilà encore un autre jugement porté sur WALLON, peu conforme à celui des catholiques de "L'Univers" et des républicains du "XIXème Siècle".

Et M. GERBOD ajoute :

"En 4 ans et demi, sept fois l'Instruction Publique change de Grand Maître. Dans cette instabilité ministérielle, les ministres, liés étroitement aux partis qui les ont installés au pouvoir, font, à la tête de l'Instruction Publique, la politique imposée par ceux-ci. "

WALLON fait-il exception ? Nous avons parlé de la position de WALLON, entre les catholiques et les universitaires, c'est le problème de la liberté de l'enseignement. Il faut aussi parler, pour l'Instruction Publique, de la position de WALLON entre les classiques et les modernes en pleine opposition. En juillet 1874, l'arrêté de CUMONT donne victoire au clan DUPANLOUP : avec le développement de la philosophie, et pour les programmes d'histoire, surtout histoire contemporaine, écarter avec soin "tout ce qui pourrait soulever des controverses". Or, DUPANLOUP et WALLON ne sont pas tout à fait du même bord. D'ailleurs, à la nomination de WALLON à l'Instruction Publique, DUPANLOUP a trouvé celui-ci peu "orthodoxe" pour succéder à M. de CUMONT, autrement dit pas assez classique.

Ce jugement situe une fois de plus WALLON entre les classiques et les modernes. Mais, sous son ministère, aucune mesure n'est vraiment prise en faveur de l'un ou de l'autre. Nous rattacherons donc l'œuvre essentielle de WALLON, la liberté de l'enseignement à une question politique, donc nous la traiterons dans notre troisième partie.

Mais auparavant, nous pouvons noter aussi que WALLON, ministre, est sollicité par des recommandations ; par exemple, le choix du personnel en dépend. Nous avons déjà vu, quand H. WALLON lui-même était professeur, que c'est avec les lettres de recommandations que les bureaux et le Conseil choisissaient leurs candidats aux chaires et à la direction du collège ; WALLON, ministre, n'échappera pas à la coutume. Par exemple, une lettre de DUPANLOUP du 24 juillet 1875 nous apprend que WALLON tiendra compte des recommandations de son ami :



"Votre Grandeur a bien voulu me recommander M.SEIGNIER, chargé de la classe de 3ème au collège de Falaise, qui désirerait être nommé principal d'un collège communal. . . Je me féliciterai de pouvoir lui tenir compte de l'intérêt que votre Grandeur veut bien lui porter. . . "

Les nominations n'excluent pas la faveur politique ; ainsi, DELTOUR, inspecteur de l'Académie de Paris, devenu en mars 1875 chef de cabinet du ministre, H. WALLON, remplace le 18 février 1876 (WALLON étant encore ministre), l'inspecteur général GARSONNET. Par contre, l'inspecteur général BOUILLER, disgracié parce que libéral, est réintégré par l'arrêté du 1er avril 1875 par WALLON. A Mont-de-Marsan, Laurent BARJAN a osé prononcer quelques paroles injurieuses à l’encontre du Maréchal MAC-MAHON, en octobre 1875 il est remplacé par DEBIDOUR. Ainsi, de simples propos, des relations suspectes, une rumeur hostile déclenchent les persécutions. WALLON ose même, en octobre 1875, écarter LACHELIER et FOUILLEE, maîtres de conférences à l'Ecole Normale et les remplacer par OLLE-LAPRUNE et CHARPENTIER ; OLLE-LAPRUNE en 1875 est membre du jury de l'agrégation de philosophie et rédacteur au "Français".


Wallon doyen


A la chute du ministère, WALLON n'est pas abandonné des hauts lieux de l'Université ; dès mars 1876, il est nommé Doyen de la Faculté des Lettres. Nous pouvons citer à ce sujet un article du journal "Le Temps" du 29 mars 1876 :

"M. WALLON, nommé au décannat de la Faculté des Lettres."

Il est intéressant de voir que WALLON a été choisi par les Facultés et non nommé par l'Etat ; les universitaires n'ont donc pas été si mécontents de son ministère et reconnaissent en lui un universitaire honorable ... et le "Temps" ajoute dans son article :



"Hâtons-nous d'ajouter que M. WALLON n'a pas à se plaindre : sénateur inamovible, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Doyen de la Faculté ; il n'aurait pu raisonnablement prétendre à un nouvel emploi de ses aptitudes. Ministre, il a su proposer et défendre la loi que l'on sait, sans que ses collègues universitaires eussent le mauvais goût de lui en garder rancune ; bien plus, il a reçu d'eux un témoignage éclatant de confiance, il a inauguré le principe de la présentation au poste de doyen par les facultés et sa bonne fortune a voulu que ce principe, qui n'a d'ailleurs rien que de sage et de légitime en soi, tournât précisément à son profit. Nul ne s'étonnera donc que le ministre, après avoir obéi, comme il le devait, aux indications de la Faculté, se soit préoccupé de titres parallèles dus à des services purement universitaires, et que son décret, en partie double, ait fait leur part aux longs et loyaux services d'un concurrent qui ne compte pas moins de 36 années d'enseignement. "

Une lettre à V. DURUY de 185552, celui-ci étant ministre, nous apprend que WALLON aspirait déjà à ce poste dont le choix dépendait alors du gouvernement.



5 novembre 1865 : "Mon cher Duruy, Ce début de ma lettre te dit assez qu'elle n'est point officielle et pourtant j'ai à te parler de la Faculté. On dit que notre Doyen, qui a été frappé, comme tu sais, songe à se démettre de ses fonctions. MM. PATIN et ST MARC GIRARDIN sont là pour recueillir sa succession sans trop de déchéance, mais, s'ils ne l'acceptaient pas, permets-moi de te rappeler que je viens immédiatement après eux sur la liste des professeurs. Ce n'est pas toi qui estimeras qu'un professeur d'histoire ne puisse, tout aussi bien qu'un autre, présider une faculté des Lettres et il me serait pénible que tu m'en juges personnellement moins capable qu'aucun de ceux qui me suivent par ordre d'ancienneté. J'éprouve le besoin de te le dire. Si la question en vient là, le Ministre avisera : mais quoiqu'il fasse, sa décision n'altérera point au fond les sentiments que j'ai toujours eus pour l'ancien camarade.. "

H. WALLON sera Doyen du 17 mars 1876 au 18 novembre 1881. CROISET prête le même jugement sur le décanat d'H. WALLON que celui relatif au Ministère WALLON : le dernier décanat de la vieille université dont celui-ci est le symbole :



"Après lui," nous dit-il, "s'opèrent des changements dans la faculté sous le décanat HIMLY. H. WALLON a été le dernier doyen de l'ancienne faculté des Lettres, la faculté des V. LECLERC et des PATIN, où quelques savants de premier ordre n'avaient qu'un petit nombre d'auditeurs réguliers, et où des orateurs illustres s'adressaient à des auditoires composites et changeants. "

WALLON, sénateur, intervient aussi dans les débats sur l'université : d'abord pour défendre la loi de 1875, mais aussi dans les discussions de lois relatives à l'enseignement (plans d'études secondaires, réforme du baccalauréat, etc.). Par exemple, dans un débat, le 24 mars 1893, sur l'enseignement classique moderne :



"C'est une très bonne idée que d'étendre davantage l'étude des langues modernes. Mais c'est l'erreur de croire que l'on puisse remplacer, dans le cours des études, les langues anciennes par les langues modernes."

Pour WALLON, il faut maintenir les deux :



"Les langues anciennes sont synthétiques, les langues modernes sont analytiques. Et c'est cette différence qui fait de leur traduction de l'une en l'autre cette gymnastique intellectuelle où réside la véritable force de l'éducation. . . Mais donnerez-vous à vos nouveaux docteurs en droit et en médecine cette forte éducation classique qui a fait l'honneur de notre barreau et de notre corps médical ? Impossible de rien comprendre à la langue de la médecine ou des sciences naturelles aujourd'hui si on n'a pas recours au Grec ! "

Des réflexions comme celle-là font réaliser combien l'enseignement et la science ont pu évoluer depuis le 19ème siècle ; aujourd'hui, il ne paraît pas indispensable à un médecin de connaître le latin !

WALLON regrettera toujours "l'abandon si inconcevable des études latines".


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